Faut-il du temps pour devenir soi-même ?

Au premier abord, il semble certain que chaque personne a un sentiment de reconnaissance dans ses actes mais surtout qu’il « sait » qu’il est l’auteur de ces actes. Pourtant, aussi souvent quand on est jeune, il n’est pas rare que l’on ait un sentiment de contradiction qui frustre notre esprit quand on se perd dans nos « actes manqués ». Il arrive que l’on se  demande alors si c’était vraiment nous. On nous répond souvent alors que l’on n’est pas encore assez expérimenté pour avoir un caractère fort défini.Faut-il ainsi du temps pour devenir soi-même ? Une question qui semble d’abord paradoxal, puisqu’il semble évident qu’on est toujours et déjà nous-mêmes. Qui suis-je alors si je ne suis pas ce que je crois être ? Peut-on être toujours ce que l’on pense être sans changer un jour ? Ce n’est pas une question à réponse a priori évidente, car le problème de l’identité est au cœur même de toutes les contradictions existentielles qui s’en suivent.

I. Ne sommes-nous pas déjà nous-mêmes ?

A. Le soi est constitué par la conscience et l’inconscient

Certes, il semble impossible  de ne pas avoir conscience de soi tant que l’on saisit  nos pensées et nos actes découler de soi. Cette saisie, avant tout, déclare mon existence ; mon existence par rapport au monde, à autrui que j’observe. Maisselon le Cogito cartésien, bien que je sois conscient d’exister par le « je » qui pense, cela ne détermine pas si ma façon d’être par mes actes et mes pensées est bien évidente à moi-même, à ce « je » à qui je crois m’identifier. En effet, Il y a des situations où une personne se sent contradictoire à ce qu’il croyait être, ce sont ces situations où l’on se sent perdre le contrôle de ses comportements. Il y a une sorte de détachement de la pensée par rapport à son être, où on ne comprend pas, voire qu’on nie notre attitude.Le sentiment de répugnance envers notre être dans certains de nos désirs vicieux où dans certains de nos fantasmes étranges nous montre que notre «soi-même »  est plus complexe que la simple conscience de soi. On sent dès lors qu’il y a quelque chose d’inconscient qui stimule des réactions inattendues. Selon Freud, « l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient ». Il y a une partie subconsciente de notre psyché qui influence nos pensées et nos actes. Ainsi, il faut distinguer la conscience de soi qui n’est que la saisie immédiate de ses pensées et de ses actions, de la connaissance de soi qui est la compréhension totale de ces actes et pensées par la connaissance de ses impulsions subconscientes.

B. Le « soi »accumule des expériences

Dès sa naissance, un être humain accumule des expériences qui vont former chez lui un sentiment d’identité. Ce sentiment d’identité est d’abord un sentiment d’appartenance à son milieu lorsque celui-ci par instinct s’accommode à des comportements sociaux qu’il imite de ses co-habitants. Ensuite, lorsque l’enfant se sent distingué par rapport à autrui, il saisit alors l’unité de son être par le « je pensant » devenant ainsi un sujet. Comme disait Ronald Laing,« l’espace où quelqu’un a le sentiment de pouvoir bouger librement est à la mesure de l’espace qu’il s’accorde et de celui que lui accordent les autres ». Ce sujet va par la suite rattacher certains traits de caractère à sa propriété intime, comme des éléments spéciaux qui le définissent. Le sujet aura par conséquent le sentiment d’une  identité  qui le définit comme la personne qu’il croit et pense être, un sentiment d’ « identité personnelle ». On peut constater dès lors par ce cheminement psychologique que l’identification est un processus. Ainsi, le « soi-même »n’est pas une identité  immédiatement saisissable dans sa totalité,car cela implique des structures inconscientes et une certaine progressivité. Cependant peut-on vraiment avoir une identité personnelle infaillible aux changements?

II. L’identité de soi est un développement constant

A. La question du « qui suis-je ? »

Dans la recherche de cette identité personnelle,on se confronte souvent à la crise du « qui suis-je ?». On croit souvent par intuition que notre véritable identité demeure. Effectivement,même si certains traits de caractère semblent changer,on s’attache toujours à croire à pouvoir déterminer notre singularité. En fait, cette identité peut n’être qu’une abstraction idéale, soit nostalgique de notre personne passée, soit de notre représentation présente ou de notre projection future. D’abord dans une perspective purement physique, une personne ne peut entretenir parfaitement l’état du corps qui le définit sur un intervalle de temps différents ; il y aura toujours une restructuration de l’organisation de son organisme  biologique,étant constamment affecté par son environnement à certains moments de sa vie, d’où le phénomène de croissance et de vieillissement. Ensuite d’un point de vue psychologique,si la continuité de la mémoire d’une personne semble déterminer  son identité, comme  John Locke le postule dans Essai sur l’entendement humain : « L’identité de telle personne s’étend  aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée», cette mémoire  n’est pas infaillible. Si la mémoire dépend, selon la neurologie, du renouvellement des neurones alors Il se peut dans certaines situations, notamment par l’usage excessif de drogues psychoactives ou à l’issue de certaines maladies dégénératives comme celui d’Alzheimer,qu’elle peut s’atténuer ou s’altérer et ainsi laisser  place à la définition d’une nouvelle identité.Ces constatations problématiques vont encore nous amener à méditer plus loin sur la nature de ce processus d’identification.

B. Être soi-même c’est exister

Si l’idée du développement de l’identification apportant un sentiment d’être soi-même semble évidente, elle n’en reste pas moins problématique, compte tenu de la possibilité d’une métamorphose personnelle à certains moments de la vie d’un sujet. On constate souvent la fameuse « crise de la quarantaine » où un individu peine à s’identifier à sa jeunesse passée. Durant l’âge pré-adulte, la jeunesse s’initie à l’élaboration d’une identité influencée par ses différents buts et projections futures, l’individu commence alors à adopter certains principes par conviction en vue de ces projections. Il se trouve cependant qu’à l’âge de la quarantaine, une nouvelle ré-examination de ses principes fondamentaux qui ont défini sa personnalité s’impose due à l’accumulation de nouvelles expériences  toujours croissantes et surtout la diminution de certaines capacités physiques. Selon le psychologue Daniel J.Levinson, chaque aspect de sa vie présente vient à être de nouveau remis en questions et ainsi « il doit se confronter avec la disparité entre ce qu’il est et ce qu’il rêvait d’être ». Ce phénomène présente alors au sujet une nouvelle perspective de se redéfinir, du fait que ses priorités ont changé. De là, être soi-même revient toujours à la possibilité de choisir. Cette possibilité définit l’homme comme une existence  qui se perfectionne au fur et à mesure de ses actes. D’après Sartre, l’existence humaine ne peut être finie que dans la mort.En effet, une personne peut à tout moment de sa vie consciente choisir de nouvelles identités qui maintiennent ses convictions présentes, et si une certaine situation l’oppresse, il aura toujours la dernière volonté d’être actif ou passif.

La question de l’identité personnelle soulève des perspectives qui sembleront ne jamais être concluantes,car comment peut-on définir l’unité psychologique d’un être qui par essence sait se détacher de lui-même, s’observer et se redéfinir constamment? La présente analyse aboutit à la conclusion selon laquelle la conscience de soi est distincte d’une connaissance définitive de soi, mais qu’aussi ce « soi » détermine l’identité par un développement toujours en mouvement. Nous avons toute notre vie pour devenir nous-mêmes, bien que la durée ne puisse en rien contraindre ou accélérer notre propre développement. Etant un être en devenir, l’homme assume sa personnalité et son humanité en toute conscience et liberté. Peut-être qu’au final, en adoptant la position de Sartre on pourrait saisir qu’il importe peu  de vouloir être quelque chose, mais que l’essentiel c’est d’exister.

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