La morale est-elle la meilleure des politiques ?

La morale est communément comprise comme étant la bonne conduite et le bon jugement dans la distinction du bien et du mal. Elle représente ce qui est non seulement socialement convenable mais aussi, dans le sens de la conduite vertueuse, ce qui est humainement désirable. Toutefois, peut-on suggérer que la morale est la meilleure des politiques ? Ce questionnement remet en surface le problème de l’efficacité des préceptes moraux dans le gouvernement de la Cité. Car si la politique vise l’harmonie et le bien-vivre ensemble, elle exige des mesures adaptées pour soumettre un ensemble complexe d’hommes. La morale peut-elle se taire au nom de l’efficacité politique ? Ainsi, nous analyserons en premier, la possibilité de coexistence entre morale et politique. Puis après, nous mettrons en exergue l’importance capitale des considérations morales au sein d’une société d’hommes.

I. La morale et la politique vont-elle de pair ?

A. Mêler politique et morale est dangereux

Tout d’abord, parlons un peu de l’aspect terrifiant de l’idéologie totalitaire qui se cache souvent sous le voile d’une « morale nationale ». L’histoire est témoin de l’endoctrinement des peuples qui, sous le conditionnement d’une organisation sociale qui se veut vertueuse, se nourrissent d’une culture totalitaire qui à l’extrême devient inévitablement homophobe. C’est « le processus d’identification entre le pouvoir et la société, le processus d’homogénéisation de l’espace social, le processus de clôture et de la société et du pouvoir », comme le décrit Claude Polin dans le Totalitarisme. Il faut remarquer que l’idée de morale porte l’idée de valeur qui, en droit, doit être incorporée comme étant une manière d’être. Or, une politique qui veut prêcher une morale idéale pour une société idéale, prêche une culture désirable pour l’ensemble de l’humanité, et ceux qui ne s’y adhèrent pas sont souvent marginalisés, forcés à se convertir, voire pour les plus récidives, éliminés. Une telle politique en soi n’est pas efficace car à cause de sa rigidité, elle sera incapable de contenir les humeurs révolutionnaires qui demandent une certaine souplesse à l’égard du peuple.

B. La politique dépasse le cadre de la morale

Il faut également considérer comme Machiavel que les hommes sont des êtres mus par les passions. Les passions sont les forces dominantes qui motivent nos conduites, la raison ne vient alors qu’en seconde instance, voilant le souci des intérêts privés sur l’intérêt commun. Par exemple, on « respecte » les lois par peur de sanctions violentes. Par conséquent, la meilleure politique n’est pas celle qui s’encombre de principes moraux, mais celle qui peut être pragmatique dans l’organisation des passions. D’une part, agir selon une morale vertueuse ne convient pas toujours aux situations qui demandent de l’opportunisme. César de Borgia n’hésite pas à exécuter violemment des notables à l’occasion de ses apparitions publiques pour asseoir son autorité. D’autre part, le peuple ne juge que les résultats manifestes d’une politique, non pas qu’il ne se soucie guère des qualités morales du politicien quitte à dire qu’à ses yeux la fin justifie toujours les moyens, mais qu’au final c’est l’apparence qui ne peut que compter à ses yeux. En effet, le peuple ne peut en toute rigueur observer les vestiaires du théâtre politique. Il s’ensuit que le monde de la politique dans les faits est l’arène des mi-hommes mi-bêtes, comme le dit Machiavel dans Le Prince, et parmi les bêtes « il faut être renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups ».

Ainsi, on ne peut pas dire que la morale soit la meilleure des politiques, car non seulement dans son souci d’universalité elle peut être dangereuse, mais que la vraie politique surpasse de loin la morale. Cependant, une société qui se veut être humaine peut-elle pour autant se passer du souci de la morale, un concept qui nous sépare des animaux ?

II. La politique peut-elle se passer de la morale ?

A. La politique dans l’État de droit suppose la morale

Que la politique soit reconnue historiquement comme le plus souvent le théâtre de l’immoralité, elle ne peut au final que tendre vers une forme institutionnelle incarnant des principes moraux universels. C’est ainsi qu’Hegel nous dit que l’institution du code civil par l’effort passionné de Napoléon est « une ruse de la raison ». Il faut en fait comprendre que l’expérience des horreurs et du chaos produits par les conflits passionnels des hommes aboutira nécessairement à l’instauration de règles rationnelles se devant être respectées par tous sous le nom de Droit. « L’on connaît facilement quelle est la condition d’un État quelconque en considérant la fin en vue de laquelle un État civil se fonde ; cette fin n’est autre que la paix et la sécurité de la vie », disait Spinoza dans Traité politique. Ainsi, la meilleure politique doit s’abreuver des valeurs morales éprouvées comme indispensables à l’épanouissement du meilleur de notre humanité. Autrement, les hommes d’État, en ignorant les leçons fournies par l’histoire de l’humanité, répèteront les erreurs terrifiantes de l’obscurantisme (le fait d’ignorer les valeurs rationnelles de la morale).

B. L’organisation de la société humaine est une société d’homme autonome

Enfin, imaginons, comme dans le roman 1984 de George Orwell, une société où les citoyens respectent scrupuleusement les lois sous le regard autoritaire d’un tyran et de ses forces violentes. La cité est en ordre et en sûreté, de plus, elle est auto-suffisante d’un point de vue matériel. Que demande le peuple, dira-t-on ? Toutefois, cette organisation a un prix, la perte de l’autonomie de ses citoyens dans la crainte ambiante qui hante quotidiennement les esprits. Une telle société ne produit pas des hommes, mais des entités mécaniques, or si l’homme est un animal politique comme le dit Aristote, c’est qu’il devrait disposer d’une vertu pour pouvoir débattre activement des affaires de la vie commune. Kant dira dans Fondement de la métaphysique des mœurs, à propos de l’autonomie « cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi (indépendamment de toute propriété des objets du vouloir) », ce qui fait donc la dignité humaine. Qu’importe l’efficacité d’une politique à satisfaire le souci de l’ordre et de la sûreté de la cité, elle ne doit pas priver ces citoyens d’un espace de communication entre eux et le gouvernement, ce dernier étant seulement les représentants du pouvoir public. Sans cet espace qui favorise l’autonomie, une société ne peut être dynamique et perfectible. C’est en cela que la vraie morale, dont la politique ne peut se passer, est l’esprit de la responsabilité.

Pour conclure, reprenons le problème qui était de savoir s’il était convenable de parler de morale dans une activité pragmatique, notamment la politique. Mêler la morale à la politique peut être dangereux dans le sens où la morale exagérée peut dissimuler une idéologie totalitaire et répressive. Cette politique ne peut être source de stabilité dans les faits, car elle est trop rigide et suscite facilement l’esprit révolutionnaire chez le peuple. Par conséquent, une politique se doit être pragmatique et dépasser la morale pour pouvoir organiser les passions des hommes. De plus, c’est le résultat qui compte puisque le peuple ne remarque que l’apparence. Toutefois, si on parle de société humaine, on ne peut nier l’exigence des préceptes moraux. L’État moderne actuel, connu sous le nom d’État de droit est l’incarnation d’une société humaniste qui a mis historiquement la lumière sur les pires facettes de l’homme comme de son meilleur. Il en découle qu’une politique sage ne doit pas faire l’impasse sur l’éducation de valeurs morales universelles tirées du passé. Enfin, une société d’hommes devrait faire participer activement ses membres dans les décisions concernant la vie politique. L’activité politique ne peut s’améliorer sans favoriser la responsabilité des citoyens. En définitive, il ne faut pas confondre morale et politique, mais cette dernière, parce qu’elle a pour fin l’homme qui est un être conscient et capable d’autonomie, ne peut se passer de l’éthique.

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