La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? 

Prétendre à une définition unifiée de l’homme a toujours été un projet qui a hanté les penseurs de tous les temps, mais ce projet reste jusqu’à présent inachevé à cause de la complexité de la nature humaine. Les philosophes ont affaire à une tâche complexe, car l’homme est à la fois naturel et culturel, et la barrière qui sépare les deux dénominations est si mince que l’essai de définition aboutit à une approximation. A part les différences raciales et les répartitions géographiques qui ont suscité de diverses représentations du monde, l’homme se distingue du monde animal par sa capacité à transformer la nature. Et la diversité des cultures montre toujours ce trait commun, tel la formule de Montaigne dans ses Essais qui disait : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ». Ainsi, les exigences rationnelles de la philosophie ou encore de l’anthropologie orientent la réflexion dans la possibilité d’une conception universelle de l’homme. Est-il alors possible d’ériger une représentation unique du genre humain, sachant que la culture varie dans le temps et l’espace pour chaque groupement humain ?La résolution de cette problématique se fera en trois temps : tout d’abord, nous analyserons l’origine de la diversité culturelle dans l’évolution de l’humanité ; par la suite, il faudrait critiquer les conséquences néfastes de la hiérarchisation des cultures dans la pensée savante ; et pour terminer, nous essayerons de faire une synthèse sur les avancements du projet interculturelle de bâtir une humanité sans ségrégation culturelle.

I. Les conditions d’existence de l’homme se dessinent par la culture

Avant de faire une distinction entre les diversités linguistiques, avec les us et coutumes qu’elles accompagnent, il importe de définir la culture dans sa généralité, c’est-à-dire ce en quoi l’homme surpasse son état de nature. Il s’agit d’une manière d’être qui rend possible et donne sens à la vie commune avec ses semblables, et qui serait superflue s’il vivait isolément. « L’homme dispose ainsi d’un ensemble de biens matériels, il vit au sein d’une organisation sociale, communique à l’aide du langage et puise les mobiles de ses actions dans des systèmes de valeurs spirituelles ». Comme l’a bien mentionné Malinowski dans La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, l’homme crée ses propres conditions et ne se suffit pas à ce que la nature lui offre, et ce, au-delà d’un souci de performance. L’extension du sens du mot culture s’élargit pour devenir une civilisation à l’échelle d’une Nation, avec les particularités qui caractérisent cette dernière, ainsi que les réalisations attribuables à un peuple donné. Comte disait dans son ouvrage Plan des travaux nécessaires pour réorganiser la société qu’ « en d’autres termes, les éléments dont se compose l’idée de civilisation sont : les sciences, les beaux-arts et l’industrie ».  Avant même qu’il y ait une science universelle qui regroupe les œuvres de l’esprit, ou que les pays décident entre eux d’établir des échanges commerciaux, les savoir-faire ont été spécifiquement représentatifs pour chaque peuple. Ainsi, la manière de penser conditionne dans une large mesure la manière de vivre de chaque groupement humain, et ce dernier affiche son identité à travers cette particularité.Lévi-Strauss synthétise la notion de culture par les pratiques les plus courantes incorporées par l’individu : « C’est l’ensemble des coutumes, des croyances, des institutions, en un mot, toutes les habitudes ou aptitudes apprises par l’homme en tant que membre d’une société ».

Il y a autant de diversité culturelle qu’il y a de peuple dans le monde. Mais selon une vision globalisante, la différence pourrait-elle cimenter l’idée selon laquelle le genre humain est homogène et ne dépend pas de ces représentations extérieures ?

II. La logique d’une culture est opaque face à la logique de la pensée

La pensée joint facilement un concept à une image lorsque cette dernière est couramment représentée avec ce concept, à tel point que l’image en devient le symbole. Il en est de même pour ceux qui adoptent une attitude ethnocentrique, que Morin définit dans Philosopher comme étant « la tentative de mettre au centre de l’univers, et considérer comme mesure de toute valeur, son propre groupe ethnique ». Les hommes du commun aussi bien que les personnes dotées d’un esprit éclairé peuvent tomber dans ce piège, car les idéaux qui sont universellement admis, sont des repères utilisés par tout homme raisonnable. Les individus ont érigé un système de valeur selon leur culture, c’est-à-dire que ce qui est bien ou mal, ce qui est bon ou mauvais sont dépeints dans des objets concrets du quotidien. Par conséquent, ce pont qui relie l’idéal, relevant de la raison universelle, et le concret, provenant de l’arbitraire des sens, est ce que nous appelons valeur. Or, « Nos valeurs sont des interprétations introduites par nous dans les choses. Toute signification n’est-elle pas justement une signification relative, une perspective ? ». D’après cette définition de Nietzsche extraite de la Volonté de puissance, je ne peux qu’interpréter une culture que selon mes propres valeurs, car ce sont les références que je me suis posées, et je ne possède aucune autre référence que celle de ma propre culture. Ce comportement n’est pas étonnant puisque c’est le signe d’une certaine limite de la raison à pouvoir rendre compte d’une réalité qui lui est tellement étrangère. Le constat de Pascal dans les Pensées et opuscules l’atteste clairement : « La dernière démarche de la raison est de reconnaitre qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n’est que faible, si elle ne va jusqu’à connaitre cela ».

Lorsque la raison essaie de donner une explication valable à la diversité culturelle, elle se heurte parfois à l’impossibilité de comprendre les choses telles qu’il lui est habituel dans sa procédure. Toutefois, le philosophe peut bâtir une unité du genre humain selon une méthode tout à fait originale.

III. La diversité culturelle invite la raison à se dépasser elle-même

Si dans la partie précédente nous avons souligné les limites de la raison, il est encore possible de décrire et de signifier la diversité culturelle, puisque c’est l’homme qui va user de la raison pour se connaitre. Pour ce faire, il faut que le sujet se place sur un terrain neutre, c’est-à-dire qu’il devra également relativiser sa propre culture aussi bien que celle des autres. « D’un point de vue pragmatiste, dire que ce qu’il est rationnel pour nous de croire aujourd’hui pourrait ne pas être vrai, c’est dire tout simplement que quelqu’un pourrait se présenter avec une idée meilleure ».Pour bien comprendre cette vision de Rorty exposée dans la Science et solidarité, il importe de se mettre en décalage par rapport à la conception philosophique de la vérité : quand on parle de culture, personne n’est ni dans le vrai ni dans le faux. Donc, si on parle de l’unité du genre humain, il ne s’agit pas de dissoudre les différentes cultures afin de les synthétiser en une seule, mais plutôt d’abolir la conception qui hiérarchise les cultures à travers une évaluation fortuite. C’est pourquoi Voltaire a précisé dans son Essai sur les mœurs qu’ « il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains soient des races entièrement différentes ». Le genre humain transcende donc les considérations ethniques, les croyances religieuses, ou encore les différences anatomiques liées à génétique. Il prend en compte la dimension la plus haute qui pose l’humanité au-dessus de la condition animale, et la souche de cette humanité est présente dans chaque déploiement historique d’un peuple. Husserl disait dans La crise de l’humanité européenne et la philosophie que « l’humanité enveloppe une multitude types d’humanité et de culture, mais qui, par transitions insensibles, se fondent les uns dans les autres ».

Pour conclure, l’humanité ne peut se manifester que par la diversité culturelle, une disposition qui est conditionnée notamment par la structure spatiale et par le côtoiement avec d’autres cultures. Les penseurs traditionnels qui restent fidèles aux courants philosophiques classiques rencontrent cependant des difficultés lorsqu’ils essaient de définir le genre humain, puisque la pluralité des cultures ne peut être dissoute dans un concept abstrait. Mais l’impuissance de la raison à signifier la diversité culturelle sera supplantée par le concept de relativisme culturel, ce qui met en avant l’unité du genre humain sans pour autant annihiler la singularité de chaque peuple. Dans les faits, les intolérances, les injustices et les violences dans une société cosmopolite s’expliquent le plus souvent par la disparité culturelle, ce qui n’est pas pour autant un fait insurmontable en soi. L’unité du genre humain ne peut se comprendre que dans une souplesse d’esprit, et la pluralité des cultures ne sera donc pas un obstacle si l’on se place dans un cadre théorique exempt de préjugés. Le sujet est autant délicat qu’il est parfois difficile de rallier la théorie à la pratique, surtout lorsqu’on fait face à des cultures qui légitiment des actes portant atteinte aux principes des droits fondamentaux. Les différentes cultures devraient-elles être régies par les mêmes droits, sachant que tout être humain dispose de la raison universelle ?

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Commentaires

1 commentaire à “La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? ”

Zongo Le 24/05/2023 à 17h24

Une méthode très performante.

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