La religion n’est-elle qu’un fait de culture ?

Les changements culturels que les grandes civilisations ont opérés à travers l’histoire nous montrent que des religions peuvent perdre leur notoriété jusqu’à ne devenir qu’un artéfact historique,comme le cas du zoroastrisme. Ainsi, on peut se demander si elles ne sont que les produits de l’esprit humain, et non ce que l’on définit généralement comme des révélations spirituelles transcendant l’homme. La religion ne suppose-t-elle pas des vérités a priori de l’existence humaine, au fondement même de toute existence ? Afin de mieux comprendre cette identification des préceptes spirituels aux réalités anthropologiques,il faut d’abord voir quoi la religion présente des aspects culturels. Toutefois, si justement elle se veut être une révélation transcendante, il faudrait donc aussi étudier ce qu’elle représente fondamentalement en notre humanité.

I. La religion présente des aspects culturels.

A. Les religions sont identitaires à une société

Autrefois, la religion est dans ses premières formes historiques une pratique rituelle. Un rituel est un ensemble d’habitude symbolique performé avec une force de conviction visant à perdurer le sens d’un mythe. Par exemple, si les premiers signes de la religion donnent une place particulière à la mort dans la considération d’un devenir spirituelle, les différentes cérémonies qui ritualisaient son mythe définissaient une identité culturelle propre. Ainsi, on pouvait parler de rites funéraires celtes, romains, perses, etc. Étymologiquement, « religion vient de relegere, qui s’oppose à neglegere, comme le soin vigilant (nous disons : un soin religieux) au laisser-aller de la négligence », explique Salomon Reinach. En effet, les premiers phénomènes religieux n’avaient pas encore ce sens moderne prônant le monothéisme et véhiculant une vérité universelle. Ils étaient d’abord des traditions originales, rappelant des mythes qui sont au fondement des pratiques de chaque société. Ces phénomènes religieux nous emmènent d’autant plus à se demander si la religion pourrait vraiment exister en dehors d’une culture.

B. La religion se manifeste culturellement

Considérons maintenant la seconde thèse selon laquelle la religion se manifeste toujours d’abord de manière culturelle. Si la culture est un produit de l’esprit, aucune religion en tant que spiritualité n’aurait jamais traversé les esprits sans une production conceptuelle saisissable par ses adeptes. En effet, il est le propre de l’homme de conceptualiser, de concevoir les phénomènes tant intérieur qu’extérieur dans une tentative d’organisation des idées intuitives en des notions mieux élaborées et plus compréhensives.Feuerbach mentionne cette nature spirituelle de l’homme à travers la religion comme suit : « Tout ce qui peut en imposer à l’homme, tout ce qui peut produire une impression particulière sur son esprit_ ne fut-ce un bruit ou un son inexplicable_ l’homme lui confère l’indépendance d’un être particulier et divin ». Ainsi, les prophètes, les shamans, les avatars ont toujours des vocabulaires culturellement définis à leur disposition pour représenter ces réalités surnaturelles insaisissables par des mots ordinaires. On parle de « trinité », de « nirvana », de « karma », etc. Autant de termes particuliers qui ne peuvent être saisis que dans leur champ conceptuel défini, dont chacun est propre à une structure sémantique déterminée et donc sans véritable équivalent ailleurs. En outre, on ne représente pas toujours un dieu ou les dieux de la même façon. Les imageries sont interdites ici, différentes là-bas, incarnées, sans forme anthropomorphique ou saisissable seulement par des symboles ailleurs. On peut ainsi se demander si ces phénomènes dépendent toujours de la nature même du divin ou seulement de la compréhension et de l’interprétation des discours religieux, dépendant des conditions historiques et culturelles dans lesquelles ils sont énoncés.

La religion est donc ce qui s’ajoute à la manifestation de la culture, et non ce qui fait son essence. Mais nous ne pouvons pas encore affirmer de là si la religion est une pure création de l’esprit ou la représentation d’une réalité objective.  On peut cependant comprendre par sa présence dans toutes les cultures qu’elle a quelque chose de fondamentalement humain.

II. La religion transcende les faits de culture

A. Car la religion est un phénomène naturellement humain

Si la religion est partout, là où se trouve l’homme, cet être capable de signifier, c’est parce qu’elle est toujours naturellement en puissance chez lui. L’homme est un être de raison qui a toujours besoin de signifier les phénomènes qui l’affectent, tant intérieurs qu’extérieurs. Ce phénomène de signification est d’abord né du complexe de la sensibilité, elle-même structurée par les préoccupations de survie. En effet, l’approche d’un phénomène naturel est d’abord d’ordre vital, et donc pragmatique, les préoccupations des premiers shamans étaient la crainte d’offenser la nature et c’est ainsi qu’ils créèrent des rituels qui demandaient bénédiction pour leurs chasseurs. Par ailleurs, « c’est elle qui cimenta les fondements des sociétés, qui donna l’unité et la personnalité aux nations, qui servit de sanction aux premières législations, anima d’un souffle divin les poètes et les artistes, et plaça dans le ciel la raison des choses et le terme de notre espérance », a compris Pierre-Joseph Proudhon. C’est par la suite que dans la formation d’un esprit transcendant la nature, c’est-à-dire, la simple nécessité de survie, que les premiers spirituels ont pu signifier des rapports problématiquement métaphysiques envers cette dernière. D’où viens-je ? Où vais-je ? Quel est le sens de la vie ?

B. Car la religion est une relation intime avec l’existence

Si la religion se manifeste généralement en collectivité, son approche reste néanmoins intime pour chaque religieux. En fait, un religieux n’est jamais exempt d’un vécu subjectif de sa religion. D’abord,  la condition humaine pousse l’homme à réfléchir sur l’existence et à se demander le sens de la sienne, puis à être sensible partout aux signes d’une possible réponse dans des circonstances considérées comme malheureuses ou bienheureuses.En tant qu’humain, on ne peut pas se passer d’associer les phénomènes, de les impliquer les uns dans les autres, de chercher en eux un certain ordre comme si on était naturellement anti-absurde. Théoriquement, on ne sera jamais absolu sur la validité d’une religion,car ses concepts ne seront jamais parfaitement objectifs (étant fondé sur l’adoption d’un complexe de croyance),mais on ne peut aussi agir sans sens, sans attachement à des valeurs métaphysiques qui maintiennent l’espoir d’une humanité idéale. Enfin, l’adoption d’une telle ou telle religion ne restera pas toujours un conditionnement social inconscient, car au final on en sera toujours conscient par un dévoilement philosophique (remise en question, problématisation).

Pour conclure, on a pu comprendre les difficultés de contraster la nature même d’une religion par rapport à la culture, car elles semblent se manifester de la même façon. Toutefois, force est de constater qu’elle n’est pas fondamentalement culturelle, car elle transcende la culture en ce qu’elle est au fondement même de la recherche de sens, et si des générations ont pu être conditionnées culturellement par telle ou telle religion, son approche restera essentiellement personnelle par une conviction existentiellement intime. Ainsi, le choix de changer de religion, de l’apprécier autrement ou de continuer à la vivre est un droit de réponse personnelle envers les questions fondamentales de notre existence.

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