L’Autorité de l’Etat s’oppose-t-elle à la liberté des individus ?

Lorsqu’on parle d’autorité, il nous vient immédiatement en tête l’idée de force et de violence. Bien que l’autorité ne s’extériorise pas nécessairement pas une oppression physique, mais plutôt par le charisme, la prestance et d’autres comportements dignes de respect, la sphère politique montre aisément que le rapport entre gouvernant et gouvernés se conçoit autrement. En effet, les citoyens font preuve de désobéissance parce qu’ils veulent affirmer leur liberté, et ce, quelle que soit la justesse des lois et des principes que ces dernières renferment. En ce sens, nous avons tendance à penser que c’est l’autorité de l’État qui pousse les individus à se rebeller. Et pourtant, les citoyens sont par définition des hommes libres tant qu’ils vivent dans un État de droit. Seuls les détenus et les esclaves ne sont pas libres. Cela dit, il ne devrait pas avoir de confrontation entre l’autorité de L’état et les la liberté des individus. L’État peut-il mener à bien ses fonctions, tout en faisant ressentir de la liberté aux individus ? D’une part, nous répondrons que c’est à travers l’autorité exercée par l’État que la liberté voudrait se manifester de manière plus intense ; mais d’autre part, il n’y a aucune entrave à la coexistence entre l’autorité de l’État et la liberté des individus.

I. L’État est l’incarnation de la contrainte légale

A. L’autorité revêt nécessairement une forme d’oppression

Pour gouverner les hommes, l’homme d’État fait valoir des lois. En effet, les lois prescrivent des obligations que chaque citoyen se doit d’honorer ; mais elles expriment également les moyens à déployer en cas de transgression, à savoir l’usage de la force pour rétablir l’ordre, et même des sanctions pénales. A partir de ces deux volets, on peut comprendre que l’autorité de l’État, consistant à se faire obéir par les citoyens, tire toute sa force de par ce que prescrit la loi. Ainsi, ce sont les lois elles-mêmes qui font preuve d’autorité sur les individus, les agents de l’État occupant arbitrairement leur poste. Force est de constater que les lois font autorité sur les individus, même si ces derniers obéissent sans qu’on ait recouru à la force physique. Mais les citoyens peuvent-ils se dérober aux lois ? La réponse est négative. C’est dans cette perspective que Nietzsche avance sans détour ces propos dans Ainsi parlait Zarathoustra : « L’État, c’est le plus froid des monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le peuple » ». Certes, les individus consentent à l’élaboration des lois, mais lorsqu’il s’agit de les appliquer dans la pratique, nombreux sont les cas qui nous désavantagent à cause des lacunes juridiques, or nous ne pouvons agir librement à l’encontre de ces lois.

B. L’État absorbe les individus

Pour les tenants de l’anarchisme individualiste, l’État serait l’ennemi de l’individu, car celui-ci anéantit conceptuellement son existence. On peut en effet penser qu’aux yeux d’une institution se voulant objective qu’est l’État, l’individu réel et concret est réduit par abstraction dans le concept de citoyen. Le problème est que ce concept est un fond spacieux pour étayer des descriptions idéologiques qui appuient le plus souvent le totalitarisme. Le totalitarisme est cette forme extrême de l’État qui récuse la diversité culturelle des groupes sociaux, et par conséquent de l’espace privé de l’individu. Dans le totalitarisme, tout est monopolisé en une seule direction : une vision, une politique, une autorité. Selon un extrait de L’invention démocratique de Claude Lefort, « L’État totalitaire n’est pas un État où sévit l’arbitraire, c’est un État qui dans son principe dénie le droit, dénie le libre exercice de la pensée ». On pourra objecter ici que L’État ne s’y verse pas nécessairement, car il peut aussi être démocratique. Malheureusement, la démocratie est une belle promesse étayée sur des fonds populaires parfois suspects. On le sait, ce sont les idées qui mènent la conscience collective, la masse est autant manipulable que le bétail, car entre le peuple et l’État, il y a les passions organisées par le charisme et l’ingéniosité d’un chef.

L’État est donc, dans son vœu d’être une organisation sociale objective, fondamentalement l’ennemi de l’individu. Toutefois, une vie sociale sans pouvoir politique ne reste-t-il pas autant toujours problématique ?

II. L’État est l’incarnation de la liberté

A. L’État diffère d’une simple organisation humaine

Pour bien comprendre la place de la liberté dans un État, il faudrait considérer l’individu qui s’intéresse au côté pragmatique issu de l’organisation étatique. Cette organisation réglée par les lois nous fait entrevoir la seule condition possible du déploiement de notre volonté individuelle : l’assurance. Le problème « théorique » d’un état social sans État, organisé par des libres associations (la seule procédure sociale qui respecterait les individus selon l’anarchisme individualiste), est qu’on est livré à des règles« nues » face à l’arbitraire. Il serait naïf de croire qu’on n’a pas besoin de forces extérieures à notre liberté pour protéger le respect des règles et susciter justement l’autonomie des hommes. Kant qui est lui-même le défenseur de cette théorie, nous fait remarquer une expérience le plus souvent partagée : « L’homme est un animal qui lorsqu’il vit parmi d’autres membres de son espèce a besoin d’un maitre. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l’égard de ses semblables ». En guise d’assurance, l’individu voudrait avoir la preuve que les récalcitrants seront punis, selon les règles préalablement définies. Bien que nous disposions individuellement de notre intelligence, il serait plus judicieux d’enlever toute forme de méfiance par le biais des balises mises en place par l’appareil étatique.

B. L’idée de liberté individuelle est née grâce à l’État

Il nous faut dernièrement évoquer l’idée qu’une « liberté individuelle » en dehors de la sphère sociale politisée est impossible. L’état où règne une liberté naturelle, on le sait, est une théorie, une fiction imaginée par les grands théoriciens de la politique comme Hobbes et Locke pour penser la légitimité de l’autorité de l’État. Les pensées politiques anciennes, des codes d’Hammourabi en passant par la démocratie athénienne jusqu’à la République romaine sont étrangers à la notion de liberté individuelle. En fait, la liberté individuelle est un concept moderne pensé comme un droit, une réalité culturelle née de la pensée du libéralisme. Elle est fortement influencée par le besoin de protéger les capitaux privés et les visions rationalistes des humanistes qui ébranlent l’idée de fondement transcendantal au pouvoir politique. Aussi, les bourgeois éclairés qui commencèrent à se démarquer (économiquement et culturellement) des monarques ne croient plus en la légitimité d’un pouvoir transcendant et se fient à la seule lumière de la raison. Ainsi, au cours de luttes violentes, l’État de droit a pris forme et, avec lui, le code civil qui est l’établissement des libertés-droits individuelles de manière positive. Par conséquent, protéger la liberté individuelle comme droit ne peut se faire sans protéger l’État. « Ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre, que l’État est institué ; au contraire, c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir », déclare Spinoza dans son Traité politique.

L’autorité de l’État nous a été problématique face à la question de la liberté individuelle, car l’État doit nécessairement limiter la liberté pour qu’il y ait une véritable liberté. Tout d’abord, sachant que le but de l’État est la garantie de la sécurité publique, il lui est légitime d’organiser la vie sociale à travers les lois et d’intimider les pensées perturbatrices par les forces de l’ordre. L’État anéantit l’individualisme dans le sens où il est indifférent au développement des sphères de liberté en particulier. Que cela soit dans le totalitarisme ou la démocratie, l’individu au singulier est abstraitement étouffé. Cependant, on peut penser l’État autrement puisqu’une vie sociale sans pouvoir politique est difficile. Tout d’abord, l’État ne s’oppose pas à la liberté individuelle, il est au contraire comme le meilleur terrain pour faire valoir cette aspiration. Une société anarchique est tout simplement impensable, puisque l’absence d’autorité qui contrôle l’application des règles met à nu la nature pervertie de l’homme. Dans les faits historiques, l’idée de liberté individuelle est un concept moderne, il fut des temps où les hommes ne s’en souciaient guère politiquement. Ce n’est qu’avec l’avènement de l’État de droit, institution née des visions humanistes et de bourgeois cultivés et soucieux de leurs droits privés, que la liberté individuelle a pris corps textuellement dans la société des hommes. En définitive la liberté des individus est donc tributaire de l’existence de l’Etat mais soulignons-le, il faut parler de l’État de droit, seul espace d’épanouissement de l’autonomie.

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