Le bonheur de l’humanité pourrait-il venir du progrès technique ?

Les œuvres de science-fiction comme « bladerunner » ou « 1984 » nous donnent une image prophétique d’un monde dystopique, où le progrès technique semble totalement dénaturaliser l’idée d’humanité. Certaines transformations technologiques remarquables dans ces œuvres, bien que fictives, semblent pourtant de plus en plus prendre forme dans notre réalité actuelle.  Au nom d’une humanité évoluée, nous nous demandons si le bonheur de pourrait venir du progrès technique. Toutefois, il semble qu’une telle question soulève une contradiction majeure dans la nature de ces deux termes. Si la notion de bonheur renvoie toujours à une idéalisation métaphysique, alors comment un développement ne concernant que sur des aptitudes matérielles pourrait offrir une satisfaction idéaliste ? Afin de résoudre ce problème, il faut d’abord voir de quelle nature serait ce bonheur que la technique peut nous proposer. Ensuite,puisqu’il est question de l’intérêt de l’humanité, ne faut-il pas examiner les revers d’une telle possibilité afin de mieux contraster ces enjeux ?

I. Le progrès technique nous aspire à une meilleure condition de vie

A. Il nous offre des perspectives de plus en confortables

La première évidence que le progrès technique peut nous apporter est toujours cette idée d’amélioration de nos conditions de vie, et ceci, dans un certain confort matériel. « Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui ferait qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement pour la conservation de la santé », affirme Descartes. Pour comprendre ce processus continuel, il faut d’abord regarder en arrière, dans ses premières origines. L’émergence de la technique était d’abord d’ordre vital, considérant le milieu hostile de l’homme primitif. La technique ne servait temporairement qu’à exploiter l’énergie en termes d’outillage, on usait d’un objet comme un simple prolongement de nos membres,  en vue de se nourrir ou  de garantir une certaine sécurité. Ce n’est que par l’idée d’innovation, l’amélioration d’une capacité pour une utilisation de manière plus efficiente, que la technique vise à véritablement faciliter nos rapports avec nos besoins physiques. On n’utilise plus vulgairement l’énergie d’un moyen, on « affine » pragmatiquement son usage par des précisions se rapportant à différents besoins ; ainsi, la pierre n’est plus seulement un matériel, elle est aussi devenue un «matériau ».Par la suite, par divers processus culturels de conditionnement social(imitation, apprentissage, habitudes), l’homme s’est adapté à ne plus se passer de la recherche d’innovations, car ne voulant plus compromettre le confort de sa nouvelle condition de vie à un retour à cette nature primitive  aux conditions difficiles et astreignantes.

B. Il propose d’assurer la maitrise de la nature.

Par ailleurs,  par  son dépassement continu, la technique semble s’être distancée du simple but de la satisfaction de nos besoins en termes de survie. En effet, le positivisme scientifique pousse l’innovation technique à un degré d’optimisme tel qu’elle ambitionne de pouvoir tout manipuler. En fait, la technique s’améliore sur la base des découvertes objectives des différentes sciences, des mécanismes qui déterminent les phénomènes naturels. « A partir du moment où la médecine fonde son diagnostic non plus sur l’observation de symptômes spontanés, mais sur l’examen de signes provoqués, les rapports respectifs du malade et du médecin à la nature sont bouleversés », constate Georges Canguilhem. La connaissance des causes à effets des phénomènes permet leur manipulation,et ceci, en vue d’opérer sur elles-mêmes. Ces liens causaux avancent en précision dans le domaine de la biologie moléculaire, et le raffinement technologique en matière de nanotechnologie permettra de manipuler à un niveau sans précédent la matière organique. Pour l’instant, ceci est effectué dans un but essentiellement médical, mais le potentiel d’une telle collaboration dans notre devenir est saisissant.On est loin des limitations expérimentales et des tabous que les religions occultaient jalousement, il s’agit à présent de la réalisation de l’ambition prométhéenne de voler la puissance des dieux.

La technique nous propose non seulement un avenir plus confortable d’un point de vue matériel, mais aussi des perspectives fascinantes qui aspirent à un puissant devenir humain proche de l’omnipotence. Mais n’est-il pas plus sage, dans cette considération d’un bonheur intimement humain, d’examiner avec plus de patience les enjeux d’une telle ambition ?

II. Le progrès technique peut augmenter le malheur de l’homme

A. Le progrès technique incite à la banalité du mal

Si le progrès technique ne vise que l’efficacité d’un moyen par une fin déterminée, ses produits ne sont pas irresponsables de l’incitation de son utilisateur à banaliser le mal. « La banalité du mal », un terme formulé par Hannah Arendt, consiste à décrire cette routine par laquelle les hommes tendent facilement à leurs vices en mettant en suspend la capacité du jugement moral. Considérons en effet qu’il est plus confortable,tant psychologiquement que physiquement, d’appuyer sur un simple bouton en vue de décimer des milliers de vies dans une situation émotionnellement éloignée de ses victimes, que de faire face à leurs lamentations avec une hache rudimentaire tachée de leur sang. Le développement technique nous offre des perspectives de plus en plus détachées de l’action de nos labeurs et nous laisse ce choix attrayant de la facilité. Ainsi, il faudrait méditer en ce que Jean Rostand disait : « la science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d’être des hommes ». Les pouvoirs issus de la science, qui nous distancie de plus en plus de notre volonté, sapent progressivement notre conscience humaine.Si le mal est fondamentalement humain, les progrès techniques qui visent efficacement à nuire aux autres peuvent le rendre de plus en plus banal.

B. Le progrès technique a un revers dépressif

Certes, le développement technique améliore nos conditions de vie, et son impact ira même jusqu’à déterminer des normes invisibles pour l’appréciation de la vie. Il est vrai que ces innovations proposent des options à notre aisance, mais elles ne sont pas sans frustrations de par la complexité technique, du stress à cause d’une demande productive toujours croissante, mais surtout un sentiment dépressif de désengagement par rapport à l’ouvrage humain. Concernant ce dernier, si l’humanité a pu ériger des grandes civilisations prospères, c’est par le sentiment des efforts laborieux des individus à travers des conditions astreignantes, mais toujours riches en expériences et surtout en valeurs existentielles. En effet,quand un homme saisissait directement le pouvoir de son action entre ses propres mains, il signifiait mieux la valeur de l’accomplissement de son œuvre et ce sentiment lui offrait une sorte d’estime. « La division du travail réduit cette force à l’aptitude de détail à manier un outil fragmentaire », remarque Karl Marx. Quand ce pouvoir de l’action lui est enlevé et petit à petit  transmis dans sa totalité à des machines, l’homme se sent de plus en plus détaché de son œuvre et sombre dans le sentiment dépressif du néant.

On a alors pu mettre en revue les enjeux que représente la technique par rapport à notre impression du bonheur de l’humanité dans le futur. Si elle propose effectivement une satisfaction matérielle dans tous les domaines, c’est de son bon droit tant qu’elle mesure l’intérêt de ses produits pour une humanité toujours consciente. Toutefois, à elle seule, elle ne peut véritablement nous donner un sentiment durable de bonheur, car notre humanité est toujours une dialectique entre cette lutte de besoin d’affirmation et ce désir de stabilité à jamais utopique. En fait, ce nihilisme toujours grandissant par rapport à l’action à fournir pour accéder au bonheur éteint cette flamme essentielle de la vitalité de notre être qu’est le « soi ». Le bonheur ne peut être effectif sans l’affirmation du soi toujours en lutte intérieure avec cet autrui qui s’immisce dans son espace. L’action à notre portée est l’opportunité de pouvoir nous manifester, non pas pour autrui mais pour gagner en nous notre place, car que signifierait un monde où tous nos souhaits, au final, se réaliseraient sans nous,  sans le réel effort de notre volonté ?

 

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