Le bonheur est-il le but de l’existence ?

La recherche du bonheur, une quête qui semble à jamais inachevée, mais qui pourtant anime toujours les hommes jusqu’à y sacrifier leur vie. Le bonheur renvoie à cet effet à des valeurs pour lesquelles on vit et on meurt, mais c’est aussi la recherche de cet état idéal de l’âme tranquille, loin des soucis de l’être-pour-la mort. Carpe diem ! dira-t-on souvent aux angoisses métaphysiques dont s’alourdissent les philosophes, car la vie n’est-elle pas déjà donnée et qu’il faut juste en profiter au maximum? Et pourtant, ne se préoccuper que du bonheur personnel risque de négliger faire abstraction de l’existence d’autrui, existence qui est toujours à ma conscience et qui peut autant affecter l’idée de mon bonheur. En tout cas, si le bonheur prend le même sens que ce que je fais de mon existence, ce serait le signe que mon existence transcende cette supposée fin qu’est le bonheur. Comment donner un sens de responsabilité à la vie, afin que le bonheur devienne un art de vivre chez l’homme ? En premier lieu, il faut examiner en quoi l’homme est si fasciné par la recherche du bonheur ; mais en second lieu, nous allons aussi considérer la perspective selon laquelle le sens de l’existence humaine ne se réduit pas à la simple idée de bonheur.

I. Il est légitime de conduire sa vie humaine à cette seule fin

A. Notre jetée au monde ne mérite-t-elle pas d’être consacrée au bonheur?

Tout d’abord, il nous semble évident d’aspirer au bonheur, compte tenu des malheurs que nous subissons à travers la conscience de l’absurdité de l’existence. Non seulement notre condition humaine place notre être dans un état de perpétuelle angoisse, de souffrance, de douleurs, de dépression, mais surtout à l’inéluctabilité de la mort. Il est de bon droit pour le pessimiste de maudire son existence, car a-t-il pour autant demandé d’être « jeté » là? Mais encore, quand on veut découvrir un sens du monde et que le monde nous renvoie à la figure le néant, que faire ? Que faire de son existence si comme Camus notre pensée se résigne à dire que « l’absurde nait de cette confrontation entre l’appel humain et le silence du monde » ? Avec la volonté et la liberté que l’homme dispose, tout homme sera donc en droit de poursuivre la quête d’un bonheur personnel.

B. L’aspiration au bonheur a une portée universelle

De plus, même si nous n’avons pas encore pensé à ce genre de nihilisme, n’y-a-t-il pas quelque chose de naturellement et proprement humain dans une vie en quête de bonheur ? C’est en tout cas le point de vue d’Aristote quand il définit le bonheur comme bien suprême et donc, « ce vers quoi tend tout être », la fin des fins qui n’a d’autre fin qui la transcende car selon lui, « le bonheur est une fin en soi ». En effet, toute vie semble converger vers le bonheur « même celui qui va se pendre » ajoute Pascal. Aristote définit l’appréciation universelle du bonheur en trois formes de vies : la vie matérialiste de l’homme-animal qui confond le bonheur avec le plaisir du corps, la vie politique qui voit le bonheur dans la gloire des honneurs accordés par le public et enfin, dans sa représentation la plus vertueuse, la vie éthique qui renvoie à la joie d’un homme capable de se discipliner pour son but.

Ainsi non seulement il est de notre droit en vertu de l’existence humaine de vouloir trouver un sens de bonheur, mais il nous semble aussi que cette quête soit inévitable à notre nature d’homme. Cependant l’idée de bonheur qui semble toujours renvoie à un contenu personnellement intéressé, peut-elle être vraiment viable dans une existence en constante relation avec autrui? Le bonheur est-il le seul sens possible de l’existence humaine ?

II. Autrui donne une nuance à l’idée de bonheur.

A. Exister avec autrui est-elle compatible avec l’idée du bonheur ?

En effet, il faut d’abord reconnaitre qu’être au monde me fait toujours face à autrui, et que ce rapport nécessite que j’accorde mon existence dans une coexistence avec lui. En ce sens, je ne peux avoir une idée du bonheur qui soit pour mon seul intérêt, car autrui interfère toujours à ma conscience. C’est notamment le cas du phénomène d’empathie qui renvoie à cette faculté de ma conscience à comprendre le ressenti de l’autre, surtout dans sa souffrance. Aussi, pour être en harmonie avec autrui je dois faire des compromis en reconsidérant l’idée du bonheur comme simple intérêt personnel, car on vit dans le même bateau qui traverse le même fleuve de la vie. Je dois donc être éthique envers sa considération. Dans Aphorismes et sagesses de la vie, Schopenhauer nous met en garde contre l’influence dégradante de l’opinion d’autrui sur notre sérénité personnelle. « Qu’elle ait ses racines dans notre nature même, ou qu’elle ait suivi la naissance des sociétés et de la civilisation, il est certain qu’elle exerce en tout cas sur toute notre conduite une influence démesurée et hostile à notre bonheur », dit-il. Parfois même, mon idée du bonheur est le produit d’une représentation intersubjective, comme c’est le cas des représentations socio-culturelles : tel statut, telle carrière, telle relation me rendront heureux selon les valeurs de mon milieu social. Il est dès lors douteux de penser que cette idée fragile au vu de la relativité culturelle puisse être inhérente, incoercible à l’existence même. En fait, on peut même se demander si le fait d’exister, de ne pas être une essence, mais de donner sens, a une fin en soi.

B. L’existence humaine est une aventure de conception de sens

Enfin, nous pouvons voir une réalité de l’existence que l’on manque souvent de saisir par la recherche d’un attachement à des valeurs fragiles, car figées: la volonté de la vie elle-même. Selon Nietzsche le sens de l’existence est dans la vie qui « veut s’élever et, en s’élevant, elle veut se surmonter elle-même », et selon Bergson elle est « un unique dynamisme qui se différencie continuellement ». Ces deux conceptions nous ramènent à la même idée que la vie est un flux qui crée continuellement de nouvelles formes qui dépassent les précédentes, en somme elle est tout simplement une puissance créatrice. Chez l’homme, la puissance créatrice se manifeste par sa faculté à concevoir de nouveaux concepts qui élève de plus en plus sa vision du monde. En fait, en tant qu’être capable de percevoir et d’user consciemment de cette puissance, nous avons en quelque sorte un devoir à la perpétuer. Il est de la responsabilité de l’homme de faire de son existence une œuvre d’art de la vie, c’est-à-dire une création authentique à jamais achevée qui se cherche continuellement dans la matière de la condition humaine. Serions-nous alors en mesure d’atteindre enfin le bonheur ultime ? Le dépassement du nihilisme pessimiste, réduisant le monde en une vision absurde, est une étape franchie. Être créatif signifie se trouver des buts et d’y tendre avec une volonté audacieuse, donc ce mouvement, cette tension vers le bonheur n’est rien d’autre que la vie elle-même.

Soulever des questions concernant le bonheur renvoie toujours à des problèmes métaphysiques or, comme nous le dit Kant, cette dernière est un champ de bataille sans fin. Ce qui prouve bien la délicatesse de la notion. Néanmoins ici on l’aura confronté à l’idée d’existence, ce qui nous oblige en quelque sorte à lui trouver un concept pour résoudre la question. Ici, son concept dans un premier temps est celui de la fin de l’existence même d’où on a pu constater une certaine légitimité par rapport au besoin de sens. Toutefois, on a pu constater que le sens de bonheur personnel est fragile, car il est affecté par la présence d’autrui et que donc il ne peut constituer un concept suffisant pour expliquer le comportement existentiel. A la fin on a pu découvrir la nature toujours inachevée du sens de l’existence par l’émancipation toujours créatrice de la vie et qui est en devenir en chacun de nous. En tout, l’homme accepte d’être un medium pour faire de la matière de notre existence une œuvre d’art de création authentique, voilà en quoi consiste le bonheur.

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