L’efficacité est-elle l’unique critère en politique ?

Introduction

Quand on parle de gouvernance, la personne du Souverain représente et symbolise l’Etat, dans le sens où le pouvoir qu’on lui a remis sera exercé au nom de la souveraineté étatique. Le domaine de la politique est devenu un terrain glissant pour ceux qui ne savent pas jauger la priorité entre l’efficacité et la justice. Pour le Souverain, il s’agit de mener à bien la gouvernance de l’État en déployant l’efficacité, ce qui n’est pas tout le temps suffisant pour bien asseoir son pouvoir. Le peuple peut-il se contenter d’un Etat prospère et d’une économie développée pour juger que le régime politique mérite sa place ? Nous allons voir dans une première partie que la vie politique exige des critères d’efficacité afin d’éviter les troubles, et dans une deuxième partie, que cette stabilité serait éphémère si les lois sont dénuées de justice.

Partie I

Le mot politique tire son sens de son étymologie grecque « polis » qui signifie ville ou cité, et son extension dans son usage philosophique indique l’art de bien gouverner une cité, avec une stratégie cohérente pour atteindre des buts définis. Le philosophe Freund s’étale de long en large dans son ouvrage L’essence du politique pour définir la politique en ces termes : « La politique est l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière en garantissant l’ordre au milieu des luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts ». D’après cette définition, non seulement le Souverain fonde son pouvoir sur le droit, mais il endosse également des devoirs envers le peuple de sorte à établir la paix et le bien-vivre ensemble. Cependant, l’action politique n’aboutirait à ces buts que si et seulement si l’État use d’une certaine autorité, que ce soit par les lois ou par les armes, et à condition que la relation commandement-obéissance soit toujours maintenue.

L’obligation du Souverain à honorer cette promesse peut l’entrainer à user des méthodes peu commodes, car d’un côté le peuple demande à être satisfait et ne connait pas la rudesse de la fonction gouvernementale, et de l’autre côté le Souverain, s’il possède vraiment l’étoffe d’un dirigeant, a la soif du pouvoir et souhaite y rester le plus longtemps possible. Machiavel a été le premier à comprendre ce mécanisme, selon ce passage tiré de son ouvrage Le prince : « l’efficacité est le critère d’une bonne action politique même si c’est une action moralement mauvaise ». Quand est-ce qu’on peut affirmer qu’il y a efficacité en politique ? Lorsqu’il n’y a point d’agitation dans le peuple, quand ce dernier juge que le Souverain se soucie du bien de la communauté et parvient à l’atteindre, principalement la sureté des biens et de la personne. Tant que le peuple observe aisément des situations harmonieuses, l’État sera toujours dans une stabilité politique, et pourtant les lois et la manière de gouverner ne sont pas pour autant soumises à l’œil critique du peuple. Ainsi, on peut dire que les manières d’agir dans le gouvernement pour viser l’efficacité peuvent s’abstenir de se conformer à la loi, ou bien de modifier la loi pour feindre les agissements, et ce, au nom de l’efficacité.

Étant donné que la fin justifie les moyens dans la sphère politique, force est de constater que l’usage abusif de ce système nuira nécessairement à l’intégrité du citoyen et celui de l’État.

Partie II

Pour bien comprendre l’ampleur de l’enjeu, revenons aux aspirations originelles qui ont poussé les hommes à créer un État, celles qui dépassent les préoccupations matérielles nécessaires pour se maintenir en vie. Dans son rapport avec autrui, et dans un sens plus large pour qu’une vie en société soit possible, le droit, dont le fondement est la justice, doit être respecté. « Est juste toute action qui permet ou dont la maxime permet à la liberté de l’arbitre de tout un chacun de coexister avec la liberté de tout autre suivant une loi universelle », disait Kant dans la Métaphysique des mœurs. En effet, c’est l’État qui devrait servir de modèle pour l’établissement de la justice, et ce, en la personne du Souverain, c’est-à-dire que si ce principe vient à manquer dans la gestion des affaires de l’État, il lui incombe de le rétablir. C’est une vertu que tout citoyen devrait avoir, non pas seulement parce que la loi exige une certaine forme de droiture dans les actions politiques, mais surtout parce que l’essence de l’homme renferme déjà ce principe, et elle ne demande qu’à s’extérioriser.

Pourquoi met-on alors en avant le principe de la justice dans la sphère politique, sachant que le Souverain peut très bien évaluer la pertinence de ses choix en fonction des réalisations concrètes et de la popularité qui en résulte ? En effet, bien que l’efficacité soit une exigence incontournable pour faire valoir ses actions aux yeux du peuple, il n’est pas toujours assuré que ce dernier accepte volontiers à respecter des lois injustes, ou bien à s’adonner à des actions reflétant l’iniquité. « Si je savais quelque chose qui me fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fut pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier .Si je savais quelque chose qui fût utile à ma patrie et qui fut préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fut utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime ». Montesquieu explique que la justice n’est pas seulement affaire d’un seul ou ne concerne que les autorités étatiques, mais s’étend sur tous les échelons de la vie en société. Donc elle contribue essentiellement à l’harmonie dans la Cité, et dans la même foulée à la stabilité politique.

Conclusion

En guise de conclusion, le monde de la politique est un domaine complexe dans le sens où on a affaire à une gestion de groupement humain, et l’État ne doit pas perdre en vue tous les aspects qui mettent en valeur la dignité humaine aussi bien que ses droits fondamentaux. L’efficacité ne peut se prétendre à elle seule pouvoir régir les mécanismes de la politique, puisqu’un tel système ne tiendrait pas longtemps sans l’appui de l’usage de la force et d’autres formes de violences. Par contre, un système de gouvernance qui applique la justice comme étant la fin ultime de celui qui se place au pouvoir verra pour bientôt le système s’écrouler, car le peuple lui-même peut esquiver le juste face à des cas qui ne lui sont pas favorables. Comment la justice pourrait-elle maintenir la stabilité dans un Etat tout en prouvant son efficacité en termes de gouvernance ?

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