Les vérités scientifiques sont-elles indiscutables ?
Généralement, la science désigne l’ensemble des savoirs que l’homme a accumulés de par les générations successives. Avec l’évolution de la pensée humaine, ce terme a pris un sens plus profond, notamment en tant que discipline faisant intervenir la raison objective pour déployer des théories sur un objet. Se distinguant des connaissances issues de l’expérience, les connaissances scientifiques fondent leur pertinence sur l’universalité et l’objectivité scientifique, à part leur concordance vis-à-vis des faits. Ainsi, douter des vérités scientifiques, ne serait-ce pas remettre en cause l’espoir de l’humanité à fonder un langage et une représentation cohérente du monde ? Et pourtant, la réfutation fait partie même de l’attitude scientifique par excellence. Ainsi, les théories qui se prétendent absolus laissent toujours entrevoir une discussion ouverte, selon la démarche scientifique. L’esprit critique est-il la source d’une vérité scientifique fiable ? Nous allons d’abord voir dans quelle mesure il faut faire confiance aux vérités scientifiques. Ensuite, nous allons nous placer en dehors de la science pour mieux juger ses démarches et ses théories, c’est-à-dire les discuter.
I. La science offre des connaissances vraies
A. Les vérités scientifiques proposent la meilleure objectivité
Premièrement, l’objectivité scientifique consiste en une approche impartiale des faits. Il doit écarter tout jugement moral, sentimental et idéologique dans ses études. En ce sens, le scientifique oppose, par principe, valeur et fait. La valeur définit un idéal : on parlera des principes métaphysiques comme le bien et le mal. Au contraire, le fait désigne ce qui se manifeste concrètement indépendamment de toute affection spirituelle. Dans cet engagement face à l’objet, toute activité qui s’estime scientifique doit être la plus rigoureuse possible dans sa rationalité. Ainsi, elle doit être appuyée par le formalisme de l’outil mathématique pour ne pas se fier à la multiplicité des exemples pour bâtir une théorie. Les mathématiques permettent d’extraire la forme abstraite d’un phénomène à travers des unités symboliques opérables logiquement, et ainsi de mesurer de la constance dans ses variations. Nous nous mettons d’accord avec Henri Bergson pour dire que « Géométrie et logique sont rigoureusement applicables à la matière. Elles sont là chez elles, elles peuvent marcher toutes seules ». Ceci est dans le but d’établir avec plus de précision une vérité universelle. L’universalité est un caractère primordial qui doit prévaloir dans un savoir scientifique, sans quoi cette connaissance n’aurait aucune raison d’être.
B. Les vérités scientifiques montrent un rapport concret aux faits
Deuxièmement, si l’idée de vérité renvoie à la pertinence d’une proposition par rapport aux faits, les vérités scientifiques semblent répondre indiscutablement à ce critère. Tout d’abord Il faut savoir qu’un fait brut, c’est-à-dire tel qu’il se donne à nos sens, ne donne rien de « vrai », il est seulement donné comme un phénomène (littéralement, « ce qui apparait ») aux qualités instables. Il revient alors à notre entendement de l’interpréter, c’est-à-dire de désigner ce qui demeure dans ce phénomène. Aussi, à la différence de l’opinion qui est une proposition appréhendant les choses en surface, la vérité scientifique décrit des propriétés essentielles et des mécanismes constants grâce à une observation contrôlée. Selon les termes employés par Emmanuel Kant dans la Critique de la Raison pure : « Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité des lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginée d’après ses principes, pour être instruite par elle ». D’abord, le scientifique ne choisit pas un fait au hasard. Il choisit d’observer les faits que les modèles théoriques qui font autorité ne semblent pouvoir expliquer totalement. Ensuite, il engage une approche méthodique qui isole les phénomènes pertinents qui se rapportent à son hypothèse de recherche. Il faut ici considérer qu’un fait empirique est complexe, il montre plusieurs aspects qu’il faut savoir décomposer avec clarté dans l’analyse, et distinguer ce qui n’est que circonstanciel de ce qui est essentiel par rapport à ce que l’on propose d’élucider. Le fait scientifique en ce sens est une expérience organisée.
Une vérité scientifique remplit tous les critères pour prétendre à l’objectivité et à la représentation exacte du réel. Mais face à un tel savoir, devrions-nous prétendre comme ayant acquis définitivement ce qui est à connaître ?
II. Les vérités scientifiques ne touchent pas l’absolu
A. La science n’offre que des paradigmes
En fait, la science n’offre pas à proprement parler de « vérités », elle ne produit que des modèles pragmatiques qui suffisent à expliquer, selon les techniques d’observation disponibles à une époque, un phénomène. Soulignons qu’un modèle scientifique est la représentation simplifiée d’un phénomène. C’est une construction rationnelle qui encadre approximativement les propriétés et les mécanismes d’un fait, de sorte à nous fournir un savoir fiable. Toutefois, il faut considérer deux points importants dans son élaboration. D’une part, la démarche scientifique n’est pas tout à fait exempte de subjectivité comme elle le prétend, et d’autre part elle est perfectible. En effet, le monde de chaque science a une communauté scientifique qui évalue la pertinence des recherches qui prétendent être scientifiques. Claude Bernard a développé la même file d’idées dans Introduction à l’étude de la médecine expérimentale en disant : « Il résulte donc que, si le raisonnement nous guide dans la science expérimentale, il ne nous impose pas nécessairement ses conséquences. Notre esprit peut toujours rester libre de les accepter ou de les discuter ». Il s’ensuit que l’idée d’objectivité en science est le consensus d’une discussion subjective. Dans cette même ligne d’idée, d’autres scientifiques disposent d’autres arguments qui feront valoir une nouvelle théorie sur le même objet. Cela suppose que les hypothèses sur lesquelles est basée l’ancienne théorie équivalent à plusieurs autres, découlant d’un point d’observation et de questionnement différent. C’est ce sens qu’il faut comprendre la réfutabilité d’une vérité scientifique.
B. La science a toujours été sujette à des méta-discussions
Avant de discuter à propos des résultats fournis par la science, il faudrait tout d’abord parler de la science. En effet, ce domaine qui embrasse actuellement plusieurs objets d’étude, donc plusieurs branches d’analyse, est particulièrement critiqué par d’autres disciplines parallèles, qui sont non-scientifiques. Ces dernières ne raisonnent pas selon la même logique que les scientifiques, ce qui leur donne le droit de réfuter la science selon leur propre cadre de pensée. Hilary Putman résumera ce point de vue par ce passage de Raison, vérité et histoire : « Le contenu même de la notion de vérité dépend de nos normes d’acceptabilité rationnelle, qui, elles, présupposent nos valeurs ». A part les sciences expérimentales qui évoluent par la réfutation des théories, les théories en sciences humaines sont tout à fait discutables. En faisant preuve de bon sens, il suffit d’observer le cours de la vie au quotidien pour dire que les lois en sciences humaines ne concordent pas toujours avec les faits particuliers. Les statistiques tiennent compte de la généralité, mais un seul exemple qui contredit l’interprétation de ces chiffres pourrait ébranler tout l’édifice de cette discipline, et faire perdre la crédibilité des théories aux yeux de la masse. Effectivement, la vérité doit être authentifiée en tout lieu et en tout temps. Que penser alors face à un tel écart entre la théorie et la réalité ? Tout simplement que les vérités scientifiques ne peuvent prétendre à l’universalité, car le scientifique est toujours et déjà rattaché à des valeurs sociales et personnelles qui interviendront au cours de son observation.
D’une part, si on discute des vérités scientifiques, celles-ci perdent leur crédibilité à représenter exactement le réel. Or, on ne peut nier d’autre part que l’esprit critique est le moteur du progrès de la connaissance. Telle est la difficulté à laquelle nous avions affaire. Une vérité scientifique est fiable car elle est le produit de l’impartialité. S’engager dans la voie de la science c’est faire vœux d’objectivité, de ne décrire les faits et rien que les faits. De plus, elle offre un rapport concret au réel en organisant sa complexité afin d’y extraire un savoir simplifié et stable. Toutefois, ce que la science propose n’est qu’un modèle admis par sa communauté comme temporairement suffisante. Par ailleurs, une vérité scientifique est porteuse d’un héritage théorique que la recherche n’a pu négliger. Mais fondamentalement, on ne peut parler de vérité scientifique que si une proposition est réfutable autrement elle n’est qu’une interprétation. C’est à travers ce dilemme que l’épistémologie et la sociologie prennent toute leur importance, puisque ces activités sont en mesure de penser la science. Si les vérités scientifiques offrent la meilleure certitude, elles ne sont pas pour autant les seules à être utilisées pour pouvoir vivre. Les certitudes scientifiques nous aident-elles à vivre ?