L’Etat est-il au-dessus des lois ?
L’État désigne le système politique qui organise une population sous des lois. Il est souvent assimilé au gouvernement, car celui-ci est censé maintenir son ordre. En priorisant le vivre ensemble qui est la finalité de son institution, le gouvernement use souvent des méthodes extraordinaires qui transgressent les lois que l’État a légiféré. C’est le cas par exemple lors des émeutes où ces gardiens de l’État usent souvent des forces de répréhension meurtrière à l’encontre du peuple. Mais plus fondamentalement, puisque ce sont les appareils de l’État qui font la loi, en tant que concepteurs, ne détiennent-ils pas légitimement une emprise sur ces lois ? Peut-être, c’est ainsi que les hommes de loi pourraient redéfinir ou supprimer les mauvaises lois qui, observées à travers l’expérience, nuisent plus à la population qu’à assurer leur bien-être, tels que les lois sur l’esclavage par exemple, ou les lois qui interdisent la propriété privée. Toutefois, faut-il pour autant laisser l’État se déterminer selon le bon vouloir arbitraire de ses gouvernants ou de son peuple? Nous nous demanderons donc dans une première partie en quoi l’État serait légitimement au-dessus des lois. Mais en seconde partie, nous verrons aussi en quoi l’État est idéalement soumis à des principes éthiques.
I. La facticité des hommes met l’État au-dessus des lois
A. Un État au-dessus de l’État
L’État est cette institution née d’un besoin politique de l’homme, c’est-à-dire de régler un ordre social où ce dernier est en sureté. Idéalement, les représentants de l’État, donc de l’ensemble du peuple, doivent se soumettre aux règles édictées par le contrat social ayant amené à son institutionnalisation. La constitution, c’est-à-dire une loi fondamentale, fixe ainsi l’organisation de l’État afin qu’ils ne puissent pas tomber dans l’arbitraire. Cependant, les gouvernants sont des hommes, des êtres capables de transcendance certes, à qui on a conféré les plus grands pouvoirs : celui de créer les lois, d’exécuter et de juger. Il n’est pas donc surprenant que ceux-ci posent abstraitement leur territoire comme l’État au-dessus de l’État. Comment des hommes peuvent-ils savoir ce qui convient au mieux à ses semblables ? Face à la multiplicité des attentes des individus, n’imposeraient-ils pas volontiers des lois qui s’accordent avec ses propres aspirations ? « Le combat pratique de ces intérêts particuliers, qui constamment se heurtent réellement aux intérêts collectifs et illusoirement collectifs, rend nécessaire l‘intervention pratique et le refrènement par l’intérêt « universel » illusoire sous forme d’État », constate Marx et Engels selon l’ouvrage L’idéologie allemande.
B. L’État se pose au-dessus des lois pour se maintenir
L’on remarque souvent que les États aux régimes dits totalitaires, ceux qui concentrent le pouvoir absolu aux mains d’un parti unique, édictent des lois dont les législateurs proclament la nécessité suprême, et qu’ils appliquent au nom du bien-être de l’État. Mais à vrai dire, ce n’est pas à proprement parler pour le peuple ni pour l’intérêt collectif que le totalitarisme a été mise en place, mais essentiellement selon l’idéologie factice des gouvernants. Les raisons pour lesquelles l’État se transcende se divisent généralement en deux catégories : d’abord, la plus remarquable est l’État qui joue arbitrairement de ses lois, où se cachent des gouvernants qui ne s’intéressent qu’au maintien de leur pouvoir. Ce genre d’État n’est pas l’État en soi, mais la corruption de l’État par les désirs personnels de son souverain. Ensuite, il y a la seconde catégorie où l’État même pense qu’il doit évoluer pour pouvoir se légitimer. C’est là où se manifestent les révoltes, quand les attentes du peuple ne sont plus représentées par l’État. Kant s’exprime dans Projet de paix perpétuelle pour évoquer ce fait : « la Sagesse politique considérera donc comme de son devoir, en l’état actuel des choses, de réaliser des réformes conformes à l’idéal du droit public ». Pour cela, il est nécessaire de reformer, voire de refonder les lois. En effet, une loi absolue qui est aveugle aux nouvelles conditions de vie du peuple ne fait que tuer le peuple, et donc détruit la fin même de l’État. Cette seconde catégorie qui sait considérer le peuple avant tout est le vrai État.
Dans les faits, nombreux sont les cas où les formes mutilées de l’État prévalent et deviennent inéluctables, à cause de la corruption de ses dirigeants et l’arbitraire dans la Constitution même. Et pourtant, l’État ne devrait-il pas fondamentalement se soumettre à des valeurs morales ?
II. L’État a un fondement purement éthique
A. L’État n’est possible que par la rationalité des lois
Que seraient les lois si elles sont changées au bon vouloir des événements ? La loi est pour l’homme la manifestation de sa volonté à ne pas se laisser passivement dériver par ses passions. Un État sans loi stable est un État livré au chaos de l’anomie, c’est-à-dire une situation qui manque de règles de conduite communément admises. Supposons un jeu que l’on crée et qu’on en édicte les règles, mais qu’on se lasse vite de la partie à cause de la rigidité de ces dernières. Donc, on change les règles à notre convenance jusqu’à les rendre d’une telle complexité où le jeu perd à la fin sa propre identité. C’est là le problème de l’État qui est trop laxiste sur sa législation. Le problème vient en effet du fondement et l’objet du contrat même, c’est-à-dire « en concevant la volonté seulement comme la volonté individuelle, et la volonté générale, non comme le rationnel en soi et pour soi de la volonté, mais comme la volonté commune qui résulte des volontés individuelles comme conscientes ». C’est à travers la compréhension de ce passage des Principes de la philosophie du droit de Hegel, que l’on peut expliquer pourquoi les États qui créent continuellement des lois et abrogent ses anciennes lois, jugées trop rigides. Les gouvernants qui agissent ainsi traitent les citoyens comme des enfants incapables d’être responsables. Or, ce qui fonde l’identité même de l’État, c’est le citoyen comme étant un être capable de se discipliner par rapport aux impulsions de ses passions.
B. Les dirigeants doivent faire valoir l’État de droit
Ainsi, il faut noter que l’État de droit est indispensable pour tout gouvernement pour deux motifs précis. En premier lieu, les lois humaines devraient se baser sur la raison qui est universelle à tout être humain, mais aussi l’application devrait se conformer à ce principe premier. Qu’il s’agisse des législateurs ou des citoyens, les lois prescrivent les droits et devoirs à chacun, toujours sur la base de la justice et de l’équité, ainsi que les règles à ne pas enfreindre. Ces dernières, notons-le, ne font pas exception pour tout individu membre de l’État. En second lieu, l’État de droit ne serait effectif que si l’application des lois se fait selon la raison pratique, c’est-à-dire selon la conscience morale et non la crainte des châtiments. « Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourrait-ce être un devoir ? » rajoute Rousseau dans le Contrat social. Même si l’État de droit est le principal défenseur de la liberté, il ne devrait en aucun lieu encourager le nihilisme. Le nihilisme étant la négation de toute valeur morale tend vers l’autodestruction de l’humanité. En effet, faire suggérer que les lois ne sont imposées que pour la simple nécessité pragmatique d’un vivre ensemble organisé serait comparer l’État à une machine qui ne produit que des instruments qui ne servent qu’à la vie de son mécanisme. Or, cela serait détruire l’humanité de l’homme même.
Pour conclure, la question de savoir : les gouvernants peuvent-ils transgresser impunément les lois étatiques, ou seraient-ils en droit de légiférer des droits les favorisant selon l’arbitraire, trouve sa réponse dans l’analyse même de l’État de droit. D’une part, la nature humaine est scellée par les vices, les caprices et les passions, ce qui rend inévitable l’existence des dirigeants de se placer au-dessus des lois. Ainsi, c’est l’État même qui transgresse ses propres principes. Étant donné que cette institution suprême est une personnalité morale fictive, c’est plutôt à travers les hommes de loi que l’on juge le comportement même de l’État. D’autre part, les théories philosophiques et l’éthique nous apprennent à observer de près en quoi les États prospères réussissent-ils à conserver leurs lois, mais aussi l’intégrité des droits de tous les citoyens. Si aucun trouble ne se manifeste au niveau du peuple, et qu’aucun renversement de palais ne se présente au pouvoir, c’est parce que les lois ont été établies selon la rationalité. Dans ce cas, ni les citoyens ni les dirigeants ne peuvent et ne veulent se dresser au-dessus des lois.