L’inconscient a-t-il une valeur scientifique ?

Se demander si un concept a une valeur scientifique renvoie à deux critères fondamentaux de scientificité. Tout d’abord, le concept devrait être issu de l’étude d’un phénomène à travers un raisonnement hypo-déductif, soulevant toujours une démarche empirique. Ensuite, les conditions de son expérience devraient être reproductibles, étant donné la nécessité de toujours pouvoir vérifier le fait empirique.  Cependant, parler de l’inconscient suppose le sujet assez flou de « déterminisme psychique » qu’aucun instrument scientifique ne semble pouvoir mettre à l’épreuve l’existence. Or, l’observation des comportements individuels, dont nous ne reconnaissons pas véritablement l’origine, oblige les chercheurs en psychiatrie comme Sigmund Freud à adopter la perspective  qu’il y  ait un puissant mécanisme qui dépasse le seul cadre du déterminisme biologique. Le concept d’inconscient constitue-t-il une hypothèse scientifique vérifiée en laboratoire ? Afin de mieux développer l’analyse du problème, on va procéder en une première partie à saisir l’aspect scientifique du concept d’inconscient, et dans une seconde partie à comprendre pourquoi celui-ci ne peut prétendre  à être une théorie scientifique.

I. La pertinence scientifique du concept d’inconscient

A.Toute théorie scientifique a besoin d’un postulat

Pour commencer, il faut d’abord voir que toute théorie scientifique part d’un axiome indémontrable mais nécessaire au déroulement de sa déduction. Si la science est une activité de recherche qui a principalement comme méthode la démarche hypothético-déductive, c’est qu’il faut nécessairement baser toute investigation à partir d’un problème bien formulé et d’une solution intuitive (bien que provisoire). En science, il y a cet élément fondamental de la théorie que l’on appelle un postulat. Jean Ullmo parle à propos du postulat dans La pensée scientifique moderne comme suit : « Le postula se distingue de l’axiome en ce que son évidence n’est pas reconnue, il n’est qu’une hypothèse. Mais progressivement, axiomes et postulats se confondent ». Et cette intuition qui sert de clef de voûte à l’édifice d’une théorie se rapporte soulève une possibilité de réponse suite à l’observation d’un fait réel. L’enjeu que renferme ce postulat est décisif pour l’ensemble de la démarche, en ce sens que l’on ne peut remonter indéfiniment la causalité d’un phénomène, mais qu’il lui faut reconnaitre un point originel définissant sa nature.

B. Le postulat sur l’inconscient est légitime

Avant l’avènement de la psychanalyse, on a toujours considéré que le sujet est transparent à sa conscience et à celle des choses : le sujet aurait donc connaissance de l’origine de ses pensées et de ses actes. Pourtant, si le concept d’inconscient n’avait pas encore été développé « à la Freud » de manière définitive et originale, l’homme a toujours su reconnaitre que tout ce qui émane de lui n’est pas à la portée de la conscience. Par exemple, on peut retrouver dans les mythes classiques comme l’Iliade des situations qui décrivent comment la volonté échappe parfois au héros, car les dieux jouent avec leur désir et manipulent leurs rêves. En fait, ce qui marquera un tournant décisif dans la considération d’un inconscient purement humain, c’est l’observation des cas névrotiques. La névrose est ce conflit intérieur à forte teneur émotionnelle, dont le sujet ressent le sentiment d’un manque de contrôle. On remarquera notamment la phobie, l’angoisse et l’hystérie. Freud y remarquera que les modèles classiques de la neurobiologie ne peuvent déterminer l’origine de ces comportements sans lésion apparente. Ce qui lui fera admettre l’hypothèse de l’inconscient dans Métapsychologie en ces termes : « Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux ne bénéficient pas du témoignage de la conscience ». Un champ auquel il aura fallu construire le concept de « psychisme ». L’histoire veut qu’à la suite d’une séance d’hypnose, une patiente aux comportements névrotiques s’est stabilisée par le simple fait de raconter son passé personnel. Freud y conclura alors la nécessité  de poser l’incapacité de la pensée à réguler des conflits qui lui sont propres, mais qu’il faut aussi établir la théorie selon laquelle les sources de la pensée se trouvent à un niveau sous-jacent de la simple conscience, dont elle n’est que la surface qui se manifeste. Entre le système nerveux et l’acte empirique doit se dérouler le processus d’une autre structure complémentaire où se jouent des représentations fonctionnelles.

On aura constaté alors que l’inconscient a une forte valeur déductive au titre de postulat scientifique. Cependant, ne faut-il pas prendre garde aux contenus interprétatifs qui ne peuvent aboutir à une vérification expérimentale ?

II. Ce qui concerne l’inconscient reste en dehors de l’expérimentable

A. Une théorie scientifique doit avoir un critère de falsifiabilité

Selon l’épistémologue Karl Popper, « le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester ». Popper veut expliquer par-là que ce n’est pas la vérification expérimentale qui assure la scientificité d’une théorie, mais surtout la possibilité pour elle d’être réfuté ou infirmée par l’expérience. En effet, « si ce sont des confirmations que l’on recherche, il n’est pas difficile de trouver, pour une grande majorité des théories des confirmations ou des vérifications».  La physique  de Newton aura perduré bien longtemps à interpréter les phénomènes physiques comme la description des mouvements des planètes, mais seule la théorie de la relativité d’Einstein aura correctement percé. Le fait qu’une théorie soit falsifiable renvoie à l’humilité qu’une vérité scientifique ne peut qu’être approximative et ne progresse qu’à partir des obstacles qui le forcent à raffiner son concept. Soulignons toutefois qu’une fois falsifiée, la théorie newtonienne garde toujours sa scientificité, car c’est par la falsification même qu’elle détient le titre de théorie scientifique.

B. Les théories fondées sur l’inconscient ne sont pas scientifiques

Ceci renvoie à l’implication qu’une théorie fortement herméneutique comme celui des concepts freudiens, tel le complexe d’Œdipe, peut toujours justifier ses interprétations à partir d’un  raisonnement rigoureusement élaboré. Il peut arriver que des patients procèdent à l’auto suggestion que le fonds de leurs conflits mentaux corresponde bien aux théories freudiennes, de la même manière que le fervent croyant d’une religion radicalement endoctrinant peut être convaincue que les sources de ses pensées vicieuses soient l’influence d’une entité extérieure à lui-même. Le problème des interprétations herméneutiques se situe dans leur audace prétentieuse à l’universalité à partir de déduction spéculative sur le sens de leur objet d’étude. De plus, si on ne laisse la force de la justification qu’aux interprétations  hypothétiquement démonstratives, alors le rapport de la théorie au fait ne peut progresser. La théorie d’Einstein complète la physique  moderne dans les perspectives que la théorie de Newton aura manqué. Cependant, les théories des successeurs de Freud, comme celles d’Adler ou celles de Carl Jung offrent leurs propres conceptualisations des phénomènes subconscients qui vont affecter différemment les interprétations du praticien. Ainsi parlait Alain dans ses Éléments de philosophie : « Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes, les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile ». Une interprétation ne peut être que subjectif, car il n’y pas de relations de supériorité ou d’infériorité entre les deux théories, ni des champs pratiques où l’un vaut plus que l’autre.

La question de la scientificité du concept de l’inconscient n’est pas encore une affaire résolue, car elle suppose même son insaisissabilité empirique. Ce que l’on a pu constater est qu’elle est un postulat nécessaire au fondement de toute science qui veut expliquer la nature des comportements humains. Et ce postulat subsistera tant que la neurologie ne peut saisir un déterminisme empirique entre la représentation mentale et l’acte incontrôlé. Cette intuition cependant laisse un espace trop large à des interprétations qui peuvent donner réponse à tout, faute de critère de réfutabilité. De plus, il n’y a pas de progrès herméneutique, mais seulement des reformulations et des visions conceptuelles différentes. Le concept est donc nécessaire pour démarrer une investigation scientifique, c’est seulement ce qui en découle qui peut être remis en question en termes de scientificité.

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