L’interprétation consiste-t-elle à découvrir un sens ou à l’inventer ?
Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
L’Homme évolue dans un univers où les objets ne sont pas de simples présences physiques, mais supportent des sens. Mais la relation entre l’objet et le sens n’est pas toujours évidente, car c’est par l’interprétation que le sens se dévoile. Ainsi, l’interprétation nous intéresse dans le sens où toutes les disciplines, scientifiques ou non, procèdent par cette voie pour faire valoir leurs théories respectives. Théodor Adorno a fait remarquer : « On nomme « interprétation » en musique, l’exécution qui, globalement, conserve la similitude avec le langage, tout en gommant dans le détail tout ce qui présenterait cette similitude ». Cette prétendue liberté dans l’acte d’interpréter nous mène vers l’interrogation si l’interprétation consiste à découvrir un sens ou à l’inventer. Qu’il s’agisse des conversations quotidiennes, des rêves, des œuvres d’art ou simples objets fonctionnels, tout signe renferme un sens qu’il faudra construire ou révéler. Le sens vient-il du sujet ou de l’objet ? En vue de traiter cette problématique, nous verrons dans une première partie que le travail de l’interprète consiste à dévoiler le sens de l’objet étudié. Ensuite, nous démontrerons que les significations sont construites à partir des systèmes de représentation, construites par l’homme lui-même.
I. L’interprétation consiste à découvrir le sens objectif de l’objet
A. Le langage est la base d’une interprétation objective
L’interprétation est un processus qui permet de trouver le sens que referme un objet. Soulignons au préalable que c’est à l’intérieur du langage seul que l’interprétation puisse s’opérer. Puisque l’objet ne parle pas, c’est à l’homme de conduire sa pensée pour dévoiler ce que signifie cet objet. Toutefois, le langage et l’interprétation ne sont pas une seule et même chose, car l’un précède et conditionne l’autre. En tout cas, chaque domaine possède son propre langage, donc les méthodes d’interprétation respectives diffèrent également. Mais en général, le langage repose sur une logique qui met en relation les signes, ces derniers peuvent être des symboles fictifs ou bien des objets. Condillac disait dans Essai sur l’origine des connaissances humaines : « Comme les qualités des choses ne co-existent pas hors de nous sans des sujets où elles se réunissent, leurs idées ne coexistent pas dans notre esprit sans des signes où elles se réunissent également ». Et ces signes ne peuvent prendre sens que dans un langage bien formulé.
B. La pensée a recours à l’interprétation dans plusieurs domaines
Comme il a été dit précédemment, l’interprétation s’applique à divers domaines. Dans l’usage courant du langage verbal, les silences et les non-dits en disent plus que les mots : les signes extérieurs exécutés par l’interlocuteur méritent alors une interprétation. L’art et la religion sont par excellence les domaines les plus privilégiés pour l’interprétation. Et même dans la science, l’objectivité repose essentiellement sur la justesse du dévoilement du sens des phénomènes en laboratoire. Y aurait-il un lieu commun entre ces différents types d’interprétation ? Certainement, comme le disait Freud dans Introduction à la psychanalyse : « Interpréter signifie trouver un sens caché ». Le travail de l’interprète consiste alors à révéler au grand jour ce qui, de prime abord, échappe à notre compréhension. En effet, nous interprétons uniquement ce que notre intellect ne comprend pas à première vue, ce qui nous parait flou ou inexplicable.
Interpréter reviendrait alors à rechercher la vérité de l’objet à travers un langage sans ambiguïté. Néanmoins, un signe linguistique renferme souvent des sens pluriels, ce qui intéresse particulièrement la réflexion philosophique.
II. L’interprète invente le sens de l’objet suivant les contextes
A. Une pluralité de sens est possible
En général, la formulation d’un langage se fait d’une manière aisée, une fois qu’on a acquis la logique inhérente à la structuration des signes. On peut très bien repérer un mauvais usage du langage, tout en maintenant intacte la signification de chaque symbole. Cependant, la méthode d’interprétation est difficile à juger : à l’intérieur d’une discipline donnée, comment savoir si une méthode interprétative accède à la vérité et non pas une autre ? Référons-nous aux propos de Nietzsche dans La volonté de puissance : « Nos valeurs sont des interprétations introduites dans les choses. Toute signification n’est-elle pas justement une signification relative, une perspective ? » Par contre, l’interprétation diffère foncièrement de l’explication, étant donné qu’elle ne repose pas sur le principe de causalité. Une explication consiste à déterminer les causes et les conséquences d’un fait, tandis que l’interprétation se fait à postériori.
B. Le sens n’est pas forcément universel
En un mot, l’interprétation demande de la part du sujet une implication personnelle en vue d’attacher un sens à objet, indépendamment de la volonté initiale de l’auteur. La pluralité de sens n’est donc pas une erreur, car dans l’interprétation, il ne s’agit pas de rechercher la vérité. La vérité est tenue en compte dans un système fermé de signification, or la pensée se place toujours et déjà en dehors de tout système. On peut prendre par exemple la vision de Gassendi à propos de la religion, en précisant : « vous êtes assuré qu’une connaissance claire et distincte est vraie parce que vous savez qu’il y a un Dieu qui ne saurait être trompeur ». Le travail d’interprétation fait appel à la subjectivité, ce qui fait que la vérité n’est pas un critère pour valider le sens par rapport à un autre sens.
Conclusion
L’interprétation est nécessaire lorsqu’un contenu est difficile à comprendre, ou lorsque le sens d’un message n’est pas évident. Dans un domaine précis, l’interprète fait preuve d’objectivité s’il souhaite retirer un sens unique, difficile, voire impossible à remettre en question. Tel est généralement le cas pour les disciplines telles que la science ou la psychanalyse. Mais sous l’œil observateur du philosophe, la pluralité de sens est tout à fait légitime, car l’interprétation est signe de liberté d’esprit et de de subjectivité. Il s’agit donc d’une invention du sens de l’objet. En définitive, l’interprétation suit toujours un système logique, mais ce sont l’attribution première du sens dans chaque symbole qui fait la différence entre les différentes lectures de sens.