L’œuvre d’art peut-elle être immorale ?
Le Joker de Todd Philips aura fait couler beaucoup d’encre due à son étude assez controversée de la société contemporaine. Cette œuvre cinématographique tant acclamée aux oscars de 2019 semble représenter une société apathiquement déconnectée de ses individus qui, au final, a engendré son propre produit à l’image symbolique du « joker ». Pourtant, la société n’est-elle pas au fond la quête d’un « bien vivre ensemble »prospère par l’établissement de l’esprit moral en chacun de ses membres, et ceci, par le sacrifice de la considération absolue sur la personne de l’individu ? La vision du « Joker » semble avoir atténué ce principe fondamental de la réalité sociale. Mais la réalité de l’œuvre d’art consiste en l’émanation intérieure de vouloir se détacher de tout conformisme, et que, par conséquent, à être une menace à cet idéal de bien vivre ensemble. Si la morale est une disposition qui tend toujours vers le respect d’autrui, alors que l’œuvre d’art se veut être dans l’esprit « je m’en moque » car l’art est pour l’art, n’est-elle pas l’image même de l’immoralité ? Nous verrons dans un premier temps que l’œuvre d’art a participé au développement moral de l’individu par sa puissance à maintenir éveillés les esprits ? Pour y voir plus clair et afin de résoudre le problème nous en première partie voir en quoi l’art peut influencer l’immoralité et en seconde partie, nous allons considérer en quoi elle contribue à cultiver l’esprit éthique.
I. L’œuvre d’art reflète une certaine l’immoralité
A. L’œuvre d’art se moque de la moralité
Les Fleurs du Mal et sa sexualité débordante, La naissance d’une nation et son racisme, Orange mécanique et son incitation à la subversion, La dernière tentation du Christ et son manque de respect au sacré de la religion. Autant d’œuvres reconnues tant pour leur qualité artistique que pour les controverses morales qu’elles animent. Il faut reconnaitre qu’une œuvre d’art, c’est aussi la vision d’une artiste qui se moque bien souvent de la sensibilité du public attaché aux bonnes mœurs, c’est-à-dire aux valeurs morales sociales bien admises. En fait, il est généralement accepté chez les artistes que l‘œuvre d’art représente une réalité qui se doit être détaché de toute pression sociale dans l’intérêt de la liberté de l’expression et de la créativité. Ce qui est un comportement irrespectueux des valeurs d’autrui. En effet, il est drôle de constater que les artistes appellent souvent à la tolérance, au respect du droit de l’expression, alors que par leur indifférence, cela semble un peu hypocrite, car n’est-ce pas un véritable manque vraiment de respect ?
B. L’œuvre d’art perturbe la stabilité morale
Par ailleurs, non seulement l’œuvre d’art peut manquer de respect, mais c’est qu’il est aussi fondamentalement perturbateur et subversif. En fait, une œuvre d’art se veut aussi être provocante, voire anti-conformiste. Il faut d’abord savoir que l’activité artistique requiert des perspectives allant à l’encontre de ce qui est généralement admis.Elle s’attaque à toute forme de conformisme,parfois, pour la simple raison de vouloir à tout prix être original pour être reconnu comme art. Rousseau a préalablement constaté que « les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme ; lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune ». Donc, les bonnes mœurs veulent régler des conduites uniformisées où on retrouve les bonnes manières, l’étiquette, la bienséance. Tout ce qui est socialement intégrateur dans une perspective de bien vivre ensemble. En fait, si on enlève à la société son système moralisateur alors, les individus,tôt ou tard se perdront dans l’anarchisme, un univers ou le mot « respect », « autrui », ne représenterait plus l’humanité, car l’autre ne sera toujours qu’un moyen pour mes désirs, mes besoins, ma survie. Les États-Unis ont déjà frôlé une telle possibilité qui a commencé vers les années « Woodstock » du début des seventies (une référence au fameux festival musical de 1969) jusqu’à la fin des années 80. « Sex, drug and rock’n roll » était le slogan initié par la culture du rock n’roll autour des œuvres des Rolling Stones ou de Led Zeppelin. Une culture qui aura favorisé les protestations violentes, le viol, la délinquance, l’incivilité et la maltraitance du bien public. Les œuvres d’art semblent donc être de vraies boites de Pandore dans leur négligence et son opposition même à la morale sociale. Toutefois, ne serait-ce pas immédiatement réducteur, car ne faut-il pas aussi reconnaitre que l’art peut aussi contribuer à la réflexion morale ?
II. L’œuvre d’art a une nature éthique
A. L’œuvre d’art incite à la réflexion morale
Il faut aussi considérer que toutes les œuvres d’art ne sont pas sujettes à des controverses morales, certaines œuvres poussent même leur public à reconsidérer leur manque de moralité. Les œuvres comme the Schindler List savent mettre en perspective de façon poignante les réalités de l’homophobie, mais aussi la moralité existentielle de l’individu à pouvoir transcender les seules conditions politique de sa société. Les faits réels existent bel et bien, mais leurs impacts dans la position détachée d’un public lointain de ses manifestations dépendent de l’art pour les représenter. Une véritable œuvre d’art sait éveiller un lien sentimental entre le message et le regard humain du public. La mort et la misère sont partout, mais elles n’ont jamais été aussi personnelles pour le public habitué à la routine de la vie que dans son regard de l’œuvre artistique. En fait, la représentation artistique sait jouer avec les symboles des mots, des sons, des images, des couleurs, des gestes, du visage d’une manière subtilement anthropomorphique pour rendre le monde personnellement humain,et ainsi pour que l’on considère de bien la traiter.
B. L’œuvre d’art améliore l’esprit éthique
Enfin, si l’œuvre d’art a fondamentalement quelque chose d’éthique, c’est sa manière à éveiller l’esprit à la méditation. Si l’œuvre d’art est souvent provocante, c’est parce qu’elle veut attirer l’attention critique du public sur une société qui n’est plus qu’un assemblage de rouage mécanique apathique compressant la conscience critique de l’individu. La société, en fait, nous habitue à la routine de ses mœurs et ne nous laisse pas trop le loisir de les questionner. Les devoirs sociaux sont inculqués dès le plus jeune âge à être des impératifs inconditionnels, les symboles sociaux (langages, tenues, uniformes) sont partout s’incorporant dans les rituels familiaux, bureaucratiques, administratifs, religieux, définissant chez l’individu une manière d’être fonctionnellement conformiste. C’est là que l’œuvre d’art joue un rôle essentiel dans l’éveil de l’esprit. Comme Alain l’a mentionné dans Vingt leçons sur les Beaux-Arts, « les Beaux-Arts s’expliquent par ceci que l’exécution ne cesse de surpasser la conception, surtout quand un long travail d’artisan a établi la libre communication des sentiments aux mouvements ». Une véritable œuvre, en fait, contamine la créativité artistique par sa puissance à frapper l’esprit, c’est-à-dire sa façon de représenter les choses autrement. L’esprit se saisissant ne peut alors qu’être plus sensible et être de plus en plus favorable à la reconnaissance des valeurs d’autrui et ainsi à considérer leur respect.
Le sujet est assez délicat, car elle invite facilement à la tentation de ne se concentrer que sur les questions éthiques du contenu d’une œuvre. Or c’est une approche immédiate, étant donné que cela n’aurait pas saisi la dimension artistique d’une œuvre d’art, incapable d’atteindre le jugement esthétique de la matière. Voulant saisir la portée éthique même de la question entre œuvre d’ « art » et morale, nous avons pu développer quelques points-clés. D’abord, on aura vu que par sa nature libérale, l’œuvre d’art suscite bien des impulsions de rébellion qui se veulent parfois moqueuses qu’elle porte atteinte au respect d’autrui, donc à la morale. Toutefois, on a aussi vu qu’elle peut aussi bien rendre service à la morale par sa manière à éveiller des sentiments humains, mais aussi, fondamentalement, à améliorer l’ouverture d’esprit et donc à la capacité d’une meilleure réflexion éthique. Au final, on peut affirmer que l’œuvre d’art est la représentation parfaite de l’humanité qui ne peut avancer que par son critique perturbateur. Alors oui l’œuvre d’art peut être immorale, mais c’est une immoralité nécessaire à la progression de la véritable morale, qui est l’ouverture d’esprit.