Mon identité dépend-elle de ma culture ?

L’identité est ce qui définit personnellement un individu, ce à quoi on le reconnaît vis-à-vis des autres. Mais encore, dans un sens positif, elle renvoie à la reconnaissance administrative de ses citoyens. Quant à la culture, elle est au sens strict l’ensemble des productions conceptuelles de l’homme dans son rapport au monde. Elle renvoie généralement dans l’esprit occidental à deux sens : dans un premier sens, elle est la forme distinctive de cet ensemble de connaissances, d’inventions et de réalisations chez un peuple. Dans un second sens, elle est l’ensemble des savoirs dont un individu a cumulé au cours de sa vie. Ici, elle renvoie à l’expression « se cultiver ». Il semble donc, dans les deux définitions, la culture est quelque chose dont je fais constamment l’expérience, et c’est en ce sens que je puis me demander si mon identité dépend de ma culture. Toutefois, si justement par le fait de m’éduquer, je puis m’ouvrir à d’autres nouveautés, et que je deviens le support d’un mélange culturel, mon identité est désormais remise en question. Puisque la culture englobe l’ensemble des manières d’être dans une société, n’ai-je aucune identité si je fais preuve d’une diversité culturelle ? Pour répondre à ce questionnement, il faut d’abord expliciter l’idée selon laquelle une culture particulière forge inévitablement les caractères et les comportements de celui qui s’y frotte régulièrement. Ensuite, il faut expliciter également qu’il existe d’autres éléments qui symbolisent ma personne, c’est-à-dire ma propre identité.

I. Les autres me reconnaissent à travers ma culture

1. Une culture est riche en signes identitaires

Il semble évident que nous affichons inévitablement une étiquette culturelle qu’on ne peut se défaire. C’est que depuis notre entrée dans une société on est administré d’une identité qui représente toute la culture de celle-ci. C’est en ce sens que Leibniz comprend l’identité, selon ce passage de Nouveaux essais sur l’entendement humain : « L’avenir de chaque substance a une parfaite liaison avec le passé. C’est ce qui fait l’identité de l’individu ». Déjà, notre nom renvoie à une figure culturelle distinctive. On sait que « Jean-Pierre » est Français, que « Volk » est Allemand. De plus, même si on voulait dépasser notre frontière pour nous évader, on nous demandera quels sont nos coutumes, nos plats, nos musiques, comme si on est normalement l’ambassadeur de notre culture qu’il faudrait honorer à tout instant. Les préjugés vont même se succéder vis-à-vis de supposées manières d’être et de penser, tels que les autres ont entendu dire à propos de nous. On nous dit souvent : « je croyais que les Français étaient de bon connaisseur de vin et de fromage », « je croyais que tous les Allemands buvaient de la bière et étaient accrocs aux saucisses ».

2. Je suis intérieurement déterminé par ma culture

Mais l’identité culturelle s’affiche sur nous de manière plus subtile qu’une reconnaissance extérieure. Elle s’incorpore en nous à la façon d’un habitus. Celle-ci est, selon Pierre Bourdieu, l’ensemble des dispositions durables déterminant l’individu dans son rapport social, il est « une matrice de perceptions, d’appréciation et d’actions ». Selon ses propres termes issus de Questions de sociologie, « c’est une espèce de machine transformatrice qui fait que nous « reproduisons » les conditions sociales de notre propre production, mais d’une façon relativement imprévisible ». Plus simplement, quand nous interagissons dans un champ social, on est fortement influencé par le style de vie qui est propre à ce milieu. Dans le désir d’être reconnu par notre groupe, on joue une performance mimétique sur le style vestimentaire, le style discursif et le style gestuel le plus en vue. Aussi, dans la pratique régulière de cette performance, on renforce l’incorporation des valeurs du groupe, c’est-à-dire plutôt intérioriser que d’exprimer ouvertement ces non-dits. Il n’est pas rare dès lors que les autres nous évaluent directement à cause d’un stéréotype fortement ancré en nous.

Il est communément admis que les stéréotypes parlent d’elles-mêmes : ils renvoient à une référence culturelle bien précise. Toutefois, l’expérience de mon propre vécu n’est pas réductible à ces signes distinctifs, perceptibles de l’extérieur. Ne serait-ce pas une sorte de réduction formelle que de dire que mon identité, dépend de la généralisation qu’autrui a pu considérer sur moi ?

II. Mon identité relève de ma propre personne

1. L’identité d’un individu se développe à partir d’une expérience propre.

Comment, dans certains cas, explique-t-on que des enfants élevés dans une même famille avec les mêmes valeurs peuvent suivre des voies si différentes ? Comment une société peut-elle former des individus qui affirment exceptionnellement leur particularité, à l’image des grands artistes, des grands scientifiques et des grands révolutionnaires politiques ? Xavier Bichat disait dans recherches physiologiques sur la vie et la mort : « La société donne presque constamment à certains organes externes une perfection qui ne leur est pas naturelle, et qui les distingue spécialement des autres ». En effet, chacun a le potentiel de se développer autrement, comme il l’entend. A un moment donné de notre vie, la curiosité peut nous ouvrir à d’autres cultures. L’étrangeté nous fascine, le désir de lui donner sens nous pousse à vouloir s’y renseigner. Puis, il nous arrive de voyager physiquement ou imaginairement à travers les livres ou autres formes de médias, et nous transformons notre personnalité à travers des remises en question intérieures. Il s’ensuit qu’au final, notre identité est alors la synthèse de la lutte de notre culture de base, à savoir les valeurs qu’on nous demande d’adopter, avec nos expériences et nos découvertes.

2. L’identité est quelque chose d’évolutif

Enfin, que signifie véritablement une identité pour l’homme, si chaque individu peut avoir de goûts multiples ? Ladite synthèse culturelle peut-elle être effective pour donner naissance à une identité définitive, alors que celle-ci est sujette à des métamorphoses tout au long de la vie d’un individu ? Tout d’abord, l’homme est un acteur conscient de son identité. Il a la conscience de son être qui adopte une conduite donnée, car Il fait attention à sa performance dans les champs sociaux où il interagit. L’individu, dans cette façon d’« être », suggère qu’il y a un élan transcendantal du soi acteur par rapport à la culture qu’il représente. L’individu peut agir autrement, mais il choisit un rôle qu’il considère être meilleur pour lui. Ce qui explique d’une part le fait qu’un individu peut avoir des préférences très diversifiées, dont l’ensemble ne renvoie à aucun stéréotype culturel. On peut aimer le rugby en même temps que le ballet, mais on parle peu de l’un dans le groupe social de l’autre, dans la peur d’être ridiculisé. C’est ainsi que le psychanalyste Carl Jung parle de persona, un masque que l’on porte dans nos différentes interactions sociales, qui agit comme une sorte de défense psychique, car on veut préserver notre intimité. Dans Types psychologiques, on peut se référer au terme individuel pour exprimer l’identité propre à une personne : « Est individuel tout ce qui n’est point collectif, ce qui n’appartient qu’à un seul et non à un groupe ». La vie extérieure sociale est donc un grand théâtre où nous jouons tous un rôle. Ce n’est en fait que dans l’intimité de nos rêves que la puissance à jamais inachevée de notre identité trouve forme.
Qui suis-je ? Une question que les hommes auront le plus souvent assimilé au « que suis-je ». Car ce « qui suis-je » a-t-elle encore une pertinence par rapport à l’identité culturelle qui nous engage plus dans un « qui sommes-nous » ? Vu de l’extérieur, le jugement d’autrui nous identifie à des généralités sur notre culture, des généralités que nous sommes censés représenter. On ne peut pas en vouloir aux stéréotypes, car nous faisons souvent la performance de notre culture qui s’incorpore en nous. Notre tendance dans le besoin de reconnaissance fait que nous adoptons le style de vie d’un groupe, et plus on l’applique, plus on en fait une seconde nature. Toutefois, cela ne veut pas dire que notre identité dépend seulement de notre culture, mais aussi de multiples expériences au cours de nos découvertes. Ici, l’identité est alors la formation synthétique de notre culture et de nos expériences. Mais encore, possède-t-on une identité déterminée ? Car il semble qu’il y ait un écart entre nous et nos représentations sociales, nous jouons des rôles quand nous interagissons extérieurement. En définitive, on est identifié extérieurement par notre culture, et nous nous donnons des masques sociaux, mais nous n’avons jamais une identité définitive

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