N’y a-t-il de preuve que par la démonstration ?
Pascal dans l’esprit de géométrie, énonce les principes fondateurs de cette science vraie qui gouverne l’univers. Ainsi, les problèmes mathématiques ne sauraient être posés sans une véritable base de fondement et une rigueur de raisonnement que nous appelons : démonstration. L’homme a besoin de preuves, et les preuves ne sont que le résultat d’un processus démonstratif. Comme le supputait d’ailleurs Baruch Spinoza, dans son Traité de la réforme de l’entendement : « Je sais par expérience vague que je mourrai ; si je l’affirme, en effet, c’est que j’ai vu d’autres êtres semblables à moi rencontrer la mort, bien que tous n’aient pas vécu le même espace de temps et ne soient pas morts de la même maladie ». En effet, Spinoza émet ici la rigueur de son raisonnement fondant sa croyance sur l’expérience de la mort, il ne l’a pourtant pas expérimentée ou vécue mais Spinoza déduit bel et bien qu’il mourra par la rigueur de la démonstration. Mais si Spinoza sait qu’il mourra tôt ou tard, et qu’il en fait une certitude sans avoir pourtant expérimenté sa propre mort, cela nous pousse à nous poser la problématique suivante : «N’y a-t-il de preuve que par la démonstration ? ». Afin de répondre à cette question, nous verrons dans une première partie la nécessité de démonstration en vue de fournir des preuves, mais nous nuancerons cela dans une deuxième partie avec le fait que toute preuve n’implique pas pour autant une démonstration, car certaines sont innées.
I. Toute preuve implique une démonstration
Dans le discours de la méthode, René Descartes attaque un point plus que controversé concernant l’existence de Dieu, du transcendant. Comme l’indique le titre même de son livre, le discours ou logos « parole » doit toujours être accompagné d’une méthode, c’est ce qui différencie l’idée de la connaissance. La démonstration vient alors avec l’idée de méthode car il n’y a pas de preuves sans démonstration. Toute preuve implique donc une démonstration et la démonstration est le procédé qui amène à la preuve et la preuve est le résultat de la démonstration. Personne ne peut ainsi confirmer un propos s’il ne l’a pas préalablement démontré. Le Logos signifie alors ici à la fois discours (langage) mais aussi « raison ». L’homme, doué de raison saisit ainsi l’essence de la démonstration comme étant l’usage de sa propre raison. En effet, l’homme a besoin de preuves et donc a besoin de démonstration. La preuve issue de la démonstration nous permet donc de constituer et d’enrichir notre expérience du réel afin de le synthétiser, ce que reprend Emmanuel Kant, « la preuve démonstrative est synthétique ». La démonstration est donc le résultat causal qui nous amène à produire des preuves et nous en distinguons deux grands types : la démonstration synthétique & la démonstration analytique. La démonstration analytique est ce qui relève de la pure analyse du concept, c’est-à-dire de sa dissociation en éléments fondamentaux tandis que la démonstration est synthétique quand elle nous fait connaitre une propriété qu’on ne pouvait connaître par simple analyse. Dans les deux cas, la preuve ou le résultat obtenu doit toujours passer par la démonstration qui en est l’envergure même et le processus propre à la raison. Toute démonstration ouvre donc la porte à des preuves, à des faits qui ne sont que le résultat de la démonstration en elle-même. Mais si la démonstration est issue de la logique, elle en érige les inférences valides par des conclusions qui ayant été tirées de prémices et d’axiomes. Ainsi, toute preuve implique une démonstration car la preuve est l’inférence même de la démonstration basée sur la logique. Nous nous rappellerons donc du célèbre exemple d’Aristote dans son Organon : tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme donc Socrate est mortel. Nous avons ici un exemple significatif qu’on appelle le syllogisme, une forme de démonstration propre authentifiant que toute preuve implique une démonstration. D’ailleurs, dire que toute preuve ne nécessite pas une démonstration c’est se faire ami des fausses idées, des fausses opinions. Les philosophes soulignaient déjà l’impact et l’importance de la rigueur du raisonnement et donc de la démonstration à travers le bon usage de la raison et de l’entendement. Donc, oui nous pouvons affirmer que toute preuve se voulant être qualifiée de véridique doit être démontrable et démontrée. Gaston Bachelard reprendra bien plus tard l’importance de la démonstration dans son ouvrage l’Esprit scientifique car toute science doit être fondée sur le vrai et donc sur la logique de la proposition émanant la démonstration.
II. Les preuves peuvent exister indépendamment du principe de démonstration
Emmanuel Kant dans la critique de la raison pure, comme l’indique le titre même de l’ouvrage se livre à une critique intéressante de l’usage de l’entendement humain mais aussi ses limites. Par conséquent, affirmer que les preuves ne peuvent exister en dehors du principe de démonstration serait en lui-même une démonstration par l’absurde. Absurde car principalement, toute démonstration n’est possible que si au moins une ou deux des prémices et propositions initiales sont jugées vraies. Et pourtant force est de constater que pour prouver qu’une proposition soit vraie il faut donc la démontrer, et donc user d’autres propositions antérieures à elles jugées vraies qui nécessiteraient d’autres propositions à démontrer qu’elles soient encore et encore jugées vraies et ainsi de suite jusqu’à ce que nous ayons une boucle infinie de régression vers l’état initial. Cette difficulté de la démonstration est appelée la boucle infinie de régression car pour démontrer, nous avons besoin de propositions initiales jugées vraies, et cela rend humainement impossible toute démonstration dans son sens, parce que nous aurions besoin de démontrer tout le temps chaque proposition. Donc, les preuves peuvent exister indépendamment de la démonstration en ce sens. Certains postulats ou prédicats quant à eux, sont vrais par eux-mêmes et n’ont pas besoin d’être démontrés sinon on assisterait à une régression à l’infini tandis que d’autres sont soumis au problème de circularité ou au problème de la boucle, la vérité retournerait indéfiniment emprisonnée dans une boucle et ne vaudrait plus rien car la validité des propositions se retournerait encore et encore à nouveau comme un cercle vicieux. La circularité et la régression de la démonstration représentent à eux deux les principales limites de la démonstration. C’est pourquoi, il est préférable d’opter quelquefois pour l’intuition qui est un don même de la nature intrinsèque de l’Esprit et de la conscience qui nous fait prendre conscience des choses qui nous dépassent. La raison étant soumise à la perception possède d’ailleurs des limites flagrantes, un exemple significatif de cela reste les illusions d’optiques qui altèrent notre raisonnement et donc influent sur le résultat final de notre prise de décision, car elles nous trompent de par la limite de notre raison et de nos habilités humaines.
Dans la formation de l’Esprit scientifique, Gaston Bachelard souligne l’importance de la démonstration et donc de l’esprit de science en vue d’atteindre la vérité. Il appert donc qu’aucune preuve se voulant être valable ne pourrait exister en dehors du principe de démonstration et du logos ou raison. La démonstration est l’art par excellence de fournir des preuves et de soutenir un jugement qualifié de vrai, afin d’aider l’homme à ne pas être induit en erreur. Il n’y a donc de preuve que dans la démonstration principalement car la démonstration est le fondement même de la vérité scientifique et du vrai, et les preuves ne sont que le résultat opératoire de ce processus de vérité. Nonobstant, la démonstration a aussi beaucoup de limites tout comme le problème posé par la quadrature du cercle, celle-ci est limitée par nombreux facteurs contingents. La célèbre régression à l’infini que nécessite toute démonstration voulant opérer au noyau même du prédicat, mais aussi l’inhérence de certaines vérités propres à la raison et pourtant extérieures à la raison que nous nommons : vérités générales et donc n’ayant pas à être démontrées. Ces faits nous poussent à dire que certaines preuves n’ont pas besoin de démonstration, mais si oui, la démonstration est elle un principe actif ou passif de la conscience humaine ?