Obéir à l’État, est-ce renoncer à sa liberté ?

L’État est l’institution suprême qui représente le pouvoir politique au sein de la société. En effet, le fondement et la légitimité du pouvoir étatique se rattachent à la fois sur son essence et sa finalité. Ainsi, les moyens déployés par l’État paraissent contraignants, depuis la promulgation des lois, c’est-à-dire par la raison, jusque dans l’utilisation de l’oppression physique, donc par la force. Qu’en est-il de la liberté du citoyen dans tout cela ? Cette question est bien placée, sachant que l’obéissance se comprend par le fait de suspendre sa liberté naturelle. Cependant, l’obéissance fait intervenir nécessairement la liberté de choix. Et parallèlement, par le statut de citoyen, tout le monde est tenu dans cette obéissance par une autorité hiérarchique. Est-il possible d’obéir tout en affirmant sa liberté dans une cité ? Pour éclaircir les fonds de ce questionnement, nous allons voir dans un premier temps que les manières employées par l’État pour se faire obéir entravent à notre liberté individuelle. Mais dans un second temps, nous dirons que le droit positif tire son origine d’une aspiration à la liberté.

I. La liberté n’est pas compatible avec l’impératif de l’obéissance

1. L’État se dresse pour contraindre notre liberté naturelle

Pour traiter de la liberté, de l’État et des lois en même temps, pour savoir si les trois sont compatibles, il faut mentionner que la liberté est la première notion qui prévaut en chaque homme, même de manière inconsciente. Par contre, l’existence de l’État et des lois n’est pas immédiatement conçue comme représentative de la liberté. Au contraire, nous mentionnons le rôle de l’État et nous nous référons aux instances juridiques seulement lorsque des évènements malséants se produisent dans notre quotidien. Par contre, lorsque la vie se déroule sans interférence, nous ne mentionnons pas de manière automatique que c’est grâce à l’État et aux lois en vigueur que nous menons une existence paisible. Par conséquent, la raison d’être de l’État ne prend tout son sens que pour freiner notre liberté naturelle, c’est-à-dire lorsque je fais quelque chose qui gêne les autres. Or, si je me comporte tel que tout le monde voudrait que je sois, l’État est invisible, il n’intervient pas. On peut emprunter les propos de Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra pour exprimer l’artifice déployé par l’État en matière de liberté du peuple : « Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’État et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois ».

2. L’État obtient l’obéissance par la force de la loi

En faisant une petite introspection sur notre rapport vis-à-vis de l’État, à première vue, nous essayerons de mettre en avant la volonté et la liberté comme source principale de notre obéissance. Et pourtant, à cause de notre nature humaine faillible, la seule force de la loi ne suffit pas à réprimer les désirs violents des sujets. Il faudrait que l’État s’arme d’un autre auxiliaire, qui est la force physique, afin de faire valoir à tout moment la prééminence des lois en vigueur. C’est ce que confirmait d’ailleurs Rousseau dans le Contrat social en ces termes : « Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit ». Mais puisqu’aucune autre force ne peut surpasser l‘hégémonie de l’État, on peut dire que le citoyen ne peut se soustraire à son autorité. Le citoyen est donc obligé d’obéir à cause de la prérogative entre les mains de l’État. Aucun individu ne peut supporter la marginalisation vis-à-vis de ses semblables, même si cette forme de sanction est encore à un degré moindre et se fait de manière officieuse. En cas de désobéissance, le citoyen subira certainement une mort lente. Il devra donc renoncer à sa liberté plutôt que de mourir.
L’obéissance à l’État serait donc liberticide, car l’obéissance des citoyens se fait par une forme de contrainte directe, ce qui efface notre liberté naturelle. Mais d’une manière théorique, le fondement de l’État de « droit » se veut être le gardien de la liberté.

II. La liberté est l’essence de l’État

1. L’État commence par la reconnaissance de la liberté

Tout d’abord, il faut comprendre que l’organisation politique n’est pas toujours fondée sur une obligation aliénante. Lorsqu’on parle d’État, il y a nécessairement un contrat social, un contrat qui garantit justement des droits qui nous libèrent. « Cette unité substantielle est un but propre absolu, immobile, dans lequel la liberté obtient sa valeur suprême, et ainsi ce but final a un droit souverain vis-à-vis des individus », disait Hegel dans Principes de la philosophie du droit. Le code civil garantit le droit à la vie privée et le droit d’avoir un procès équitable, droits qu’on ne retrouve pas dans l’état de nature. La différence justement entre une société sans État, qui se maintient par exemple par le seul respect de la tradition collective, et une société étatique, est dans l’introduction du droit humain comme fondement de l’État. Et le droit est intimement lié à la reconnaissance de la liberté en chacun. La démocratie athénienne et la République romaine, bien que vertueuse dans la considération de l’excellence humaine, ne considéraient pas positivement les libertés individuelles, un homme est citoyen, au service de la cité, ou esclave. Il faut attendre les lumières pour vraiment conforter l’idée de droits fondamentaux et les grandes révolutions pour les poser sous la forme de code civil.

2.L’obéissance implique un jugement rationnel

Le sens fort du mot d’obéissance est certainement la contrainte, pourtant c’est vite oublier qu’entre le sujet et la loi, il y a la volonté qui s’appuie sur le libre-arbitre. Le fait de dire « Choisir de renoncer à sa liberté » est paradoxal, mais dès que l’on considère comme Sartre que l’homme est obligé d’être libre, le nœud se dénoue. En ce qui concerne l’obéissance à l’État, bien qu’il y ait une représentation de la contrainte extérieure qui surveille nos conduites comme la police, si nous considérons qu’il est rationnel (qualité d’une proposition à valeur universelle) de suivre une certaine loi, alors il est de droit de se considérer maitre de sa proposition. En effet, le choix d’obéir est un acte de liberté lorsqu’il est appuyé par un jugement de l’entendement. Sur ce point, nous sommes tout à fait d’accord avec ce que disait Descartes dans les Méditations métaphysiques : « Il n’y a que la volonté seule ou la seule liberté du franc arbitre, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue : en sorte que c’est elle principalement qui me fait connaitre que je porte l’image et la ressemblance de Dieu ».

Comment obéir pour affirmer sa liberté alors que l’obligation est imposée de l’extérieur ? En observant les rouages qui se trament derrière l’État, nous dirons que l’obéissance du citoyen est animée par la peur d’une sanction sévère et d’une marginalisation de la part de ses semblables. Et l’État n’intervient d’ailleurs que pour freiner les ardeurs des individus qui veulent dépasser le seuil de liberté autorisé. Mais par définition, l’aspiration de l’État est de fournir cette liberté sur la base des droits humains ; l’obéissance prend alors son sens lorsque le citoyen se réfère à son libre arbitre pour voir clair en quoi je devrais obéir, même si mon choix n’est pas parfait. Qu’il y ait État ou non, que le citoyen choisisse d’obéir ou de transgresser, on n’est jamais assez libre, parce qu’il existe toujours une influence extérieure qui nous pousse à agir de telle ou telle manière. Obéir à l’État est une nécessité, autrement dit une libre nécessité.

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