Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral ?
On vit un Age où la sensibilité humaine se manifeste de plus en plus, une sensibilité pour les droits de la minorité, une reconnaissance de la différence culturelle, mais surtout une considération de plus en plus sensible à l’égard des autres formes de vie. La libération de notre conscience en tant qu’humain sur les prérogatives vitales semble laisser une place au questionnement même de la valeur de la vie et ainsi à se demander si on a le devoir de respecter tout être la manifestant. Un problème se pose cependant : par quel droit de la vie doit-on ce respect ? Pour mieux comprendre l’enjeu auquel nous avons affaire, il faudrait tout d’abord penser la particularité des différentes formes de vie vis-à-vis de notre propre considération. Par la suite, nous pourrons en déduire le fondement de ce mérite et de ce respect, qui n’est autre que notre humanité elle-même.
I. Les autres êtres vivants ne participent pas au principe de devoir
A. Le respect provient d’un acte purement humain
Tout d’abord, il est difficile de concevoir l’idée de respect sans l’idée de l’ « acte humain ». S’il est question d’estime, il s’agit d’abord de celui d’un acte volontaire. On respecte une personne par son courage, son abnégation, sa discipline… autant de qualités actives qui renvoient toujours à la volonté. Ces qualités ne sont pas toujours significatives chez les animaux et les plantes, car on ne peut faire l’hypothèse de tels phénomènes que soit sous le conditionnement d’un milieu culturel, soit avec certains animaux dont le mécanisme cérébral est capable de métacognition, donc de saisir son être. On pourrait cependant objecter que la survie de certaines formes de vie dans des conditions extrêmes force l’impression d’un certain respect, mais ce ne sont que des automatismes instinctifs qui n’ont pas le même aspect chez l’homme. Si la force humaine (physique ou mentale) dérive originalement de la nécessité naturelle de survie, elle s’est créé une autre dimension du pouvoir qui va être à même capable de suspendre temporairement cette nécessité. « Ce n’est pas autre chose que la personnalité, c’est-à-dire la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature entière », telle est la description de Kant dans sa Critique de la Raison pratique. Ceci pour montrer la dimension et le sens du respect à travers l’acte volontaire.
B. L’idée de devoir n’a de sens que chez l’homme
Concernant le devoir à proprement parler envers les autres êtres vivants, l’idée reste d’autant plus difficile à établir en termes de rapport de droit. Le droit est d’abord essentiellement social dans le sens où une personne, par ses services volontairement rendus, mérite le service volontaire d’un autre. Ici, il est encore question de volonté, car il ne doit pas s’agir de mécanisme inconscient sans quoi l’idée de devoir perdrait toute consistance pour le sujet qui est apte à juger et à se gouverner lui-même. Le devoir est ce que je dois à autrui, car je le respecte en tant qu’être conscient et responsable sinon à quoi lui servirait ce droit ? Les autres êtres vivants, à part l’homme, connus jusqu’ici sont inconscients de leur comportement et donc inconséquents de leurs actes, alors pourquoi parler de droit les concernant? Considérons l’hypothèse de parasites mortels capable de survivre dans d’extrêmes conditions que les armes humaines n’y peuvent rien contre. A un moment, leur demanderions-nous le dialogue d’un certain droit envers notre vie ?
Si l’idée d’une considération de toute vie repose sur le rapport de volonté-responsabilité, cela n’est possible qu’à sens unique, car ces deux facultés sont originalement humaines. Mais justement, l’idée d’humanité ne signifie-t-elle pas un respect pour notre nature de considérer une redevance envers la vie elle-même?
II. La conscience de la vie est une responsabilité
A. L’homme est responsable de la nature
La première évidence dans la conception de la nature c’est le mécanisme d’action-réaction. Cette nécessité du mouvement fait qu’il y a des chaines de réactions restreintes ou générales qui meuvent tout changement dans la réalité de notre univers. Les êtres mus par nécessité abondent dans la nature, cependant l’homme fait exception en agissant uniquement en vue d’une fin. La nature a doté (par contingence ou par nécessité) l’homme de deux grands pouvoirs, celui de la conscience de la conduite de ses actions et la capacité de la raison à les régler. « L’homme libre est seul en face d’un Dieu absolument libre ; la liberté est le fondement de l’être, sa dimension secrète », disait Sartre dans son ouvrage Situations. Ainsi, par respect pour ces grands pouvoirs, ne doit-on pas considérer les conséquences de nos actes à une échelle plus grande, englobant également nos intérêts, de la vie même ? Nos actions intensives envers la chaine alimentaire a eu des impacts tellement considérables jusqu’à l’annihilation de la totalité de la vie de certaines espèces (Lamproie, Éléphants, Kangourou-rat … etc.) et la menace imminente de tant d’autres encore. Certainement, nous pouvons ignorer ces réactions, car nous en avons la volonté, mais jusqu’à quand ? Il faut se rappeler que la volonté, si elle est puissante, n’est pas omnipotente, et la nature nous rattrapera toujours par la seule nécessité de la conservation de notre énergie. La volonté a cependant cette capacité incroyable de s’effacer, ce qui peut être un choix, et donc son usage revient à une question de devoir.
B. Le respect de la vie fait notre humanité
S’il y a un caractère primordial qui rapproche tous les êtres vivants, c’est la sensibilité. C’est une sorte de réaction instinctive qui signale le danger en dérangeant douloureusement un organisme selon différents degrés. Cette sensibilité a pris des proportions différentes chez l’homme où elle est devenue plus complexe en développant les émotions. Ce qui nous intéresse ici, c’est la capacité de la conscience à développer un pathos (sympathie, antipathie) envers tout être vivant. Il semble en effet que l’on ne soit jamais profondément calme lors de l’observation d’un être vivant dans sa souffrance physique, comme si notre sensibilité était deux fois plus aiguisée à cet instant où l’on se projette dans l’agitation frénétique de l’être souffrant. C’est par la considération de ces moments en fait que l’on se doit en tant qu’être sensible, définir notre conduite vis-à-vis du vivant. Par quelle nécessité faut-il torturer l’organisme d’autrui, comme la nôtre, si le seul but est la simple survie en elle-même ? Une nécessité machiavélique dans l’intimidation peut-être ? ll n’y a pas de nécessité machiavélique, il n’y a que des méthodes, des conduites. En souffrance il y a des degrés, en survie il n’y a que la conservation de la vie. Il serait ainsi contraire à notre « faculté de choisir » de recourir à des moyens douloureusement non nécessaires, tant que l’on soit en mesure d’en être conscient. Certainement, le lion ignore la douleur de sa proie, mais nous en tant qu’être capable d’une sensibilité originale, ne doit-on pas par respect envers notre humanité la considérer ?
Pour conclure, aborder les questions de respect des êtres vivants est de l’ordre de la bioéthique, un domaine de réflexion qui ne pourrait se résoudre dans une seule volée. Selon une conception purement juridique, le rapport inégal entre l’homme et les êtres vivants fausse l’idée de devoir, appliqué dans un cadre social. Mais dans un sens pratique, avant même de parler des soucis environnementaux, la sensibilité humaine intervient toujours, ce qui dépasse largement les seules préoccupations de devoir. Cette question du devoir envers le respect de tout être vivant est donc d’abord une question d’ordre écologique, car nos actions ne sont pas sans conséquence sur la réalité de notre survie. Mais surtout, elle est une question de valeurs et de principes, car même si les autres vies ne peuvent nous considérer dans ce sens, on est malheureusement les seules responsables d’un monde qu’on aspire à notre image.