Sait-on ce qu’on désire ?
Volonté propre de l’homme ou force interne qui le soumet à des passions destructrices ? Le désir semble avoir vite inscrit son empreinte sur la réalité de l’homme tantôt constructeur de son identité, tantôt destructeur de son devenir. Comme le disait Schopenhauer « l’homme vacille ainsi entre peine et souffrance ». Mais si le désir est ancré au sein même de l’homme, l’homme peut-il véritablement se détacher de cette force qui l’anime ? Car désirer c’est avant tout ressentir un manque psychique et subjectif envers un objet qui serait garant de plaisir. Par ailleurs, il est bon de noter que ce manque reste contingent, contrairement au besoin qui lui est plus strict. Le désir comme souffrance est donc privation et gêne, mal-être de l’homme ; c’est pourquoi l’homme cherche sans cesse à le combler pour se satisfaire. L’homme sait-il donc ce qu’il désire ? Ou est-il un objet passif sous l’emprise de ses désirs ? Afin de répondre à cette question, nous verrons dans une première partie, que l’homme sait ce qu’il désire. Cependant, dans une deuxième partie, nous comprendrons que les désirs échappent à l’emprise de l’homme.
I. Nous savons parfaitement ce que nous désirons
En effet, désirer n’est-ce pas ressentir un manque par rapport à son être ? Il appert donc que l’homme individu conscient sait bel et bien ce qu’il désire car il est le reflet même de ses désirs enfouis. Nous affirmons donc bel et bien que l’homme par essence connait ce qu’il désire, il est lui-même l’acteur de la réalisation de son être quant aux désirs qui siègent dans son être intérieur. Comme le disait Emmanuel KANT, « l’homme est conscience de soi et capacité de dire « Je ». Cette capacité de l’homme à dire « Je », le positionne donc par rapport à son désir comme sujet conscient et non objet passif de l’accomplissement de celui-ci. L’homme est donc sujet actif de son désir, il connait parfaitement ce qu’il désire et il est d’ailleurs le premier à le savoir. Cela sera repris plus tard par HEGEL « L’homme est conscience de soi, cette conscience est déchirée ». En effet, l’homme sait donc ce qu’il désire, ce qu’il désire le déchire d’une certaine manière car étant perçu comme un manque ou un mal être de l’individu en lui-même. Bien que dans l’homme réside des désirs inopinés et cherchant à se manifester dans son existence, l’homme perçoit-il l’essence du désir comme provenant d’une source interne ou externe ? Pour Kierkegaard la réponse est évidente « Le désir est énergie mais aussi vie dans l’instant pur ». Si le désir est alors énergie, l’homme est donc la source même puisant à cette énergie, ce qui fait de lui un sujet actif et non passif de l’ascèse de la réflexion de son propre désir. L’instant pur n’est-il pas avant tout l’instant de satisfaction de l’homme à l’égard de son désir ? La réponse est évidente, l’homme est le seul animal doté de conscience apte à connaitre ses désirs, à les hiérarchiser et surtout à les évaluer. Connaitre ainsi ses désirs revête bien plus qu’une simple introspection de soi, connaitre ses désirs implique de l’homme un regard sur lui-même et sa condition, unique réalité qui le distingue de l’animal qui n’a pas de conscience. Nous savons donc parfaitement ce que nous désirons car nos désirs siègent dans notre conscience et nous sommes maîtres de notre conscience où viennent résider sentiments, émotions, aspirations, clés que personne à par nous-mêmes ne pourrait posséder. LACAN supputait d’ailleurs « L’homme doit assumer son désir et agir en conformité avec lui ». Cela souligne donc la responsabilité de l’homme d’assumer son désir découlant de sa connaissance de celui-ci, nous ne pourrions agir en conformité avec eux si déjà nous ne connaissions pas leur existence.
II. Nous ne connaissons pas forcément ce que nous désirons, car le désir échappe à notre contrôle
L’homme doté de conscience est donc responsable de ses désirs, il les connait et essaye tant bien que mal de les assouvir dans son existence mais pourtant, il n’est pas évident de dire que l’homme connait tous ses désirs, ce qui nous renvoie à l’ambiguïté même du sujet. D’une part, il est vrai que tout homme connait l’objet de son désir car le désir prend racine dans son être, mais d’une autre part, cette condition n’est pas suffisante de par la nature même du désir car le désir est de nature illimité et paradoxal. Hegel supputait d’ailleurs « L’homme se définit comme désir négateur, lequel permet d’accéder à la conscience de soi. ». Il est intéressant de souligner ici le terme négateur, la négation est par contradiction antonyme de la complétion. Donc, si le désir est négateur, il est évident que l’homme échappe à sa propre négation tant qu’il reste cloisonné dans le désir négateur, l’accomplissement d’un désir positif va entrainer pour sûr un autre désir qui viendra se joindre à ce dernier de sorte à apporter l’effet de négation sur le bien être de l’homme. Résultat plus que logique parce que quand nous satisfaisons un désir, au lieu de procurer un effet de bien être sur le long terme, le désir entraine un effet causal de mal-être à l’individu de sorte à le rappeler son insatiabilité. Si pour SARTRE, « Le désir est manque et dépassement de son manque», nous comprenons donc que le désir échappe totalement à notre contrôle et c’est à ce niveau là qu’il devient dangereux, le désir crée sa propre réalité qui bien souvent échappe au sujet victime de nombreux désirs qui l’assaillent. Les désirs peuvent donc être endogènes mais aussi exogènes. En effet, nous vivons avec autrui et autrui stimule aussi également une grande partie de nos désirs. Dire que l’on connait tous ses désirs, c’est avant tout mentir et se mentir à soi-même, et c’est ce que reprend parfaitement Schopenhauer « Tout désir nait d’un manque et représente un cycle sans fin ». Platon avait donc raison de dire : « Mieux vaut l’ordre de l’âme que les désirs insatiables opposés à la raison. » De par sa nature, le désir est illimité et incontrôlable, ce qui fait que nous en vivons qu’une infime partie et fragment de par l’illusion d’ataraxie que procure leur satisfaction.
L’homme animal doté de conscience est donc le seul à connaitre parfaitement ses désirs, il est le seul qui a cette capacité à les évaluer, les hiérarchiser mais surtout les énoncer dans le cœur même de son être. Son existence est ainsi marquée par une pluie de désirs cherchant à arroser les peines que procurent son mal-être et sa souffrance comme le disait Arthur Schopenhauer. Mais pourtant si l’homme est sujet conscient de ses propres désirs et qu’il les connait parfaitement, ne serait-il pas illusoire d’affirmer que ce dernier connait tous ses désirs ? La place qu’occupe l’inconscient et le pouvoir ou la nature même du désir qui est par essence illimité à l’instar d’une boucle perpétuelle sans fin viennent remettre les compteurs à zéro. Le désir comme pouvoir incontrôlable, et illimité vient redéfinir l’homme dans ses plus profonds retranchements, en prouvant que finalement l’homme n’est peut-être qu’objet et non sujet de ses désirs et donc qu’il est influencé par ces derniers. Mais n’est-ce pas là la reconnaissance de l’humanité même de l’homme, ce qui en fait sa fragilité, c’est d’accepter qu’il est sujet au désir et que son existence terrestre consiste à le dompter et non à être dompté par lui, comme le disait Descartes « Il faut changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde. »