Seul ce qui est démontré est-il prouvé ?

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Une démonstration est un raisonnement consistant à montrer la validité d’un propos à partir de l’enchaînement logique. On peut donc dire qu’elle sert de preuve par la seule pensée. Mais la démonstration est-elle la seule forme de preuve possible et valable ?  Prouver consiste à donner des signes qui confirment la vérité d’un propos. Or, si la démonstration porte toute son attention sur la cohérence du raisonnement, et donc sur son aspect rationnel, une preuve peut être une simple constatation matérielle. Toutefois, une observation concrète ne peut pas toujours être prémunie de tous les matériaux nécessaires pour bien asseoir le jugement. Avec la particularité circonstancielle de l’expérience sensible, les choses peuvent se produire au mauvais moment ou être appréciées de manière subjective selon nos sentiments, nos habitudes, nos valeurs, etc. Que valent alors une constatation des faits s’il faut les « reconstruire » rationnellement pour qu’ils soient acceptés comme preuve ? Pour répondre à ce problème nous allons d’abord voir en quoi une démonstration constitue idéalement une preuve. Toutefois, nous allons aussi voir qu’une preuve dépasse la simple rationalité que sous-tend la démonstration.

I. Une preuve nécessite la rationalité de la démonstration

A. L’effort de la seule raison dépasse le simple préjugé

SI l’action de démontrer se distingue du simple fait de montrer, c’est qu’elle développe rationnellement nos propos. Ce qui est démontré s’oppose au simple sentiment d’évidence, qui est trop suspicieuse, car pouvant cacher des fondements obscurs. Le sentiment d’évidence peut trouver ses sources dans des raisons intéressées, passionnelles ou relatives à nos habitudes réductrices, comme l’expérience terrestre de la Terre plate. La certitude ne veut pas dépasser en ce sens le point de vue subjectif. Or, démontrer c’est convaincre par un effort de raisonnement et non par le partage d’un simple sentiment. Eratosthène, trois siècles avant Jésus-Christ, montre cette nécessité du raisonnement avec une expérience toute simple. Il plongea un bâton dans le sol et démontra que puisque la lumière du soleil est parallèle à la Terre et que si la Terre était plate, elle devrait donc former l’ombre du bâton dans la même position dans des lieux éloignés au même solstice d’été. Ce qui ne fut pas le cas.

B. Une bonne démonstration impose la nécessité de la logique

En fait, l’action de démontrer consiste à montrer la validité d’une idée par un raisonnement qui développe la cohérence des raisons qui ont amené à la produire. Il s’agit donc d’un enchaînement de propos qui ne contient aucune contradiction et qui produit une conclusion nécessaire. Prenons l’exemple du fameux syllogisme de la mortalité de Socrate. Si tout homme est mortel, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel. L’authenticité de la logique fait dire à Paul Valéry à ce propos que « ce n’est pas la ciguë (le poison qui historiquement tua Socrate), c’est le syllogisme qui tue Socrate ».  En fait, il faut reconnaître que la démonstration impose à l’esprit ses propres principes logiques. Ici, il n’y a aucune contradiction dans les inférences, c’est-à-dire que l’enchaînement des énoncés lie ces derniers de sorte que l’un n’affirme pas le contraire de l’autre. Il s’ensuit qu’en toute rigueur logique, la conclusion est inéluctable.

On constate alors que la démonstration est nécessaire pour faire l’accord des esprits, car elle parle essentiellement à la raison. Toutefois, la seule rationalité qui ne se concentre qu’à se vérifier elle-même peut-elle dès lors suffire à montrer que nos propos s’accordent bien à des faits concrets ?

II. La preuve dépasse la seule démonstration

A. Une démonstration est en elle-même vide de faits et n’en nécessite pas.

Peut-être faut-il considérer comme Hume dans son Enquête sur l’entendement humain de distinguer « les relations d’idées et de faits ». La démonstration appartient en fait à la première catégorie, parce qu’elle n’a de valeur que formelle. Hume cite que « Même s’il n’y avait jamais eu de cercle ou de carré dans la nature, les vérités démontrées par Euclide conserveraient pour toujours leur certitude et leurs évidences. » En effet, la validité d’une démonstration ne s’appuie que sur la structure logique de notre esprit, sans que ses propos n’aient besoin de références extérieures. Par ailleurs, même si une démonstration veut insister sur l’aspect concret, elle ne peut prouver en toute rigueur un fait dans ses moindres détails. Elle ne peut remonter de raison en raison à l’infini. Elle ne peut que partir d’axiomes que l’on admet comme vraie, soit par intuition ou par convention.

B. Une preuve consiste en un meilleur rapport fait/cohérence

Ainsi, on pourra dire finalement qu’une preuve est déterminée par pertinence, c’est-à-dire par rapport à ce qu’elle présente comme cohérente et factuelle. Elle doit vérifier la cohérence pour éviter que l’on puisse dire n’importe quoi. Mais attention, cohérence ne veut pas dire improbabilité des faits. Il n’y a rien d’incohérent à dire que dans une seconde l’eau changera en pierre. La cohérence ne porte attention que sur la non-contradiction d’un enchaînement de propos, ici il n’y en a aucun. C’est dans le développement de ce propos en un raisonnement qu’elle peut contrôler la logique. Quant aux faits, ils ne doivent pas rester dans leurs expériences particulières, mais doivent être définis par des mesures formelles que sont par exemple les mathématiques. Sans cela, on ne peut en tirer une connaissance stable et communicable. Comme l’a constaté Auguste Comte, « en quelque ordre de phénomènes que ce puisse être, même envers les plus simples, aucune véritable observation n’est possible qu’autant qu’elle est primitivement dirigée et finalement interprétée par une théorie quelconque ». Cependant, il faut garder à l’esprit que les faits changent et que les propositions énoncées ne sont pas absolues, mais seulement opérables par l’entendement dans les moyens actuels de l’observation. Cet état d’esprit permet de rester ouvert et d’être créatif pour l’évolution de nos théories.

La démonstration semble être la seule voie à prendre pour prouver nos propos, car la rationalité qui la sous-tend est nécessaire pour faire l’accord des esprits. Pour qu’un jugement vrai dépasse le simple préjugé, il faut qu’elle soit sous-tendue par un développement montrant l’effort de la seule raison. Elle doit en ce sens s’imposer logiquement par le fait de ne présenter aucune contradiction. Mais la logique n’est pas tout pour pleinement prouver les propos qui portent sur les faits. Il faut distinguer l’aspect formel que la démonstration impose, et le contenu concret d’une preuve. Ainsi, l’un et l’autre ne peuvent se séparer. Une véritable preuve doit être à la fois cohérente et consistante. La cohérence vérifie son opérabilité par la raison et la consistance, la pertinence de l’observation concrète des faits. Il faut juste remarquer qu’une preuve ne doit jamais être considérée comme absolue pour garder un esprit ouvert. En définitive, si la preuve renvoie immédiatement à la démonstration, c’est pour une bonne raison. Celle de l’irréductibilité des faits à la seule rationalité.

Conclusion

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