Suis-je défini par ma culture ?
Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La culture désigne l’ensemble de nos rapports conceptuels avec les hommes et le monde. Dans un sens commun, l’idée de culture est ressentie comme une identité collective, c’est parce que nous partageons avec notre communauté des systèmes de sens dans lesquels nous comprenons le monde et y évoluons. Ces systèmes sont la langue, les cultes, les traditions, les arts et les sciences, donc tout ce qu’on a défini spirituellement et intellectuellement, à l’opposé de ce qui nous est inné physiquement. Se demander si je suis défini par ma culture suggère donc que je pourrais m’identifier à travers une vision collective produite par l’ensemble de ces systèmes, et non à quelque chose de naturel. Cette interrogation a toute sa pertinence, puisque l’identité est une représentation qui est d’abord nécessairement médiatisée par le regard d’autrui, et donc de notre environnement social. Toutefois, si derrière l’expression « se cultiver », l’idée de culture signifie aussi l’ensemble des connaissances que l’on a acquises par éducation autodidacte, nous détenons donc un capital culturel individuel. Comment donc penser notre identité à travers deux processus indépendants de la culture, l’un qui s’impose collectivement et l’autre qui s’acquiert individuellement ? Pour répondre à cela, il nous faut développer en premier lieu en quoi la culture d’une société me définit. Ensuite cependant en second lieu, nous considérerons aussi d’examiner le second sens de la culture qui nous ouvre la possibilité d’une définition de soi qui va dépasser la culture.
I. Je suis toujours influencé par la culture d’une société
A. La culture me donne une identité
Spontanément, nous exprimons des traits de caractère qui semblent nous définir naturellement dans nos goûts et nos manières. Mais avec un certain recul, ces manières d’être sont collectivement partagées : on s’habille et on se comporte suivant certains modèles, on parle avec les mêmes vocabulaires, on a les mêmes habitudes culinaires. Autrement dit, « la culture s’apprend, se réapprend, se retransmet se reproduit de génération en génération. Elle n’est pas inscrite dans les gènes, mais au contraire dans l’esprit cerveau des êtres humains », souligne Edgar Morin dans La Méthode. En tout, notre personnalité qui paraissait comme une originalité est plutôt identifiable à un stéréotype dans notre communauté. Par ailleurs, des gens bien informés sur notre culture, appartenant à une communauté étrangère identifient rapidement des représentations typées dans nos conduites. Non seulement ma communauté m’inculque de manière inconsciente une habitude collective, mais ceux qui regardent de l’extérieur constateront une nette différence. Il n’est donc pas facile de sortir de sa propre identification à travers les représentations collectives.
B. Je suis structuré par ma culture
Mais les traits de la culture ne sont pas seulement identifiables extérieurement. En effet, de nombreux sociologues qui soutiennent l’idée de conditionnement social pensent que notre identité est l’incorporation durable de notre culture collective, d’où la théorie de l’habitus. Selon le sociologue Pierre Bourdieu, à travers le processus de socialisation, nous acquérons par apprentissages (informels ou formels, dits ou non-dits) la disposition durable d’une « matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions ». On pourrait comparer l’idée comme un jeu de théâtre. Quand nous jouons un rôle, nous essayons d’intérioriser la manière d’être d’un personnage pour qu’il puisse interagir de manière naturelle avec le monde de la pièce. Il arrive alors qu’en ayant répété plusieurs fois son rôle, on en a tellement l’habitude qu’on finit par l’adopter inconsciemment dans notre vie en dehors de la pièce. L’habitus se forme ainsi, mais ici, le monde de la pièce est un champ social défini avec son identité culturelle. On joue la performance du style de vie de ce dernier, puis ce style s’enracine progressivement et durablement en nous dans la pratique. Notre identité ne serait alors à proprement parler que le produit de la performance habituelle d’un milieu culturel.
Notre culture est un élément capital pour déterminer notre identité, ce qui se manifeste dans notre manière d’être fondamentale ainsi. Toutefois, si la culture est essentiellement collective, ne serait-ce pas légitime de parler d’incorporation et d’intériorisation au niveau individuel ?
II. Je suis irréductible à la culture
A. L’éducation culturelle autonome est un dépassement de la conformité sociale
Il faut rappeler le second sens de la culture, qui désigne l’ensemble des connaissances que l’on a individuellement acquises le long de notre existence. Il faut considérer par-là que nous ne sommes pas toujours passifs vis-à-vis de notre éducation. Nous sommes des esprits capables de doute et de curiosité, de sorte qu’il nous arrive le plus souvent d’être animé par le désir de satisfaire nos questionnements et de découvrir plus sur ce qui nous paraît étrange, différent, nouveau. Ainsi, nous tendons activement vers l’inconnu dans le dialogue, la littérature, le voyage et nous acquérons par-là diverses expériences qui enrichissent notre esprit, que ce soit à travers les certitudes que les questions. Comme l’a souligné Xavier Bichat dans Recherches physiologiques sur la vie et la mort, « l’être humain est génétiquement programmé, mais il est programmé pour apprendre ». A cet égard, les valeurs collectives ne peuvent définir en totalité notre capital culturel individuel, nous qui sommes toujours en puissance de la dépasser par la nature curieuse de notre esprit. Il est donc plus pertinent de penser que ce qui fait notre identité est la synthèse de l’un et de l’autre.
B. Mon identité est en perpétuelle redéfinition
Force est de constater que si le fait de se cultiver n’est jamais achevé, la définition de notre identité ne le sera pas non plus. En effet, les valeurs d’une société et les acquis en matière de connaissance ne sont pas figés. « Avez-vous examiné toutes les religions tant anciennes que nouvelles, qui sont professées ici, dans l’Inde ou dans le monde entier ? Et à supposer même que vous les ayez examinées comme il se doit, comment savez-vous que vous avez choisi la meilleure ? » nous interroge Spinoza. Ce sont des productions humaines qui obtiennent crédit de notre part, mais de manière relative. Une culture donnée évolue avec l’histoire de la communauté qui, elle aussi, côtoie d’autres sociétés apportant de nouvelles valeurs. La mondialisation représente le choc des valeurs qui stimule des réformes inévitables. Ainsi, l’individu n’est plus le représentant uniforme d’une culture, mais il devient pluriel à travers une synthèse de goûts et de manière qui dépasse tout traditionalisme. Ce qui rejoint l’idée d’une culture acquise individuellement qui est, elle aussi, une aventure à jamais inachevée à travers nos expériences et nos découvertes multiples. Il s’ensuit que ce que nous identifions comme identité n’est qu’une saisie temporaire, qui a pour but la reconnaissance de soi. Comme le monde, nous n’échappons pas au flux du changement.
Pour dévoiler notre identité vis-à-vis des autres, la culture est la première chose qui se fait remarquer en nous. On n’échappe pas à la représentation collective des traits d’une communauté donnée, et autrui est le premier à l’apercevoir, tandis que nous assimilons inconsciemment ces caractères. Et concrètement dans nos conduites, nous exécutons avec performance les signes socio-culturels qui se sont enracinés en nous. Toutefois, l’autre sens du mot culture est le fait d’accumuler volontairement des connaissances, pour le plaisir et le désir naturel de connaître. Et puisque notre capacité à incorporer le savoir et à déployer notre ouverture d’esprit n’est aucunement limitée dans le temps et dans l’espace, notre identité et notre culture ne sont jamais définitives. En définitive, les deux formes de constitution de la culture, l’une passive et l’autre active, font notre authenticité et notre personnalité. Se fixer une identité est alors un choix, puisque dans les faits nous sommes continuellement dans le flux du changement.