Toute vérité est-elle bonne à dire ?

« Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité ».  Telle est la variante française du serment classique que tous témoins doivent jurer avant de mettre leur honnêteté au service de la justice. Parfois on se demande cependant dans l’intérêt de qui est cette justice si le témoin peut y risquer sa vie ou celle de ses proches. La vérité se soucie-t-elle du bien-être de celui qui le dit, de celui ou ceux qui le concernent ? Si  n’est pas le cas, alors pourquoi certains font le principe de toujours vouloir la dire ? Pour y répondre, nous verrons dans une première partie que dire la vérité devrait être précédée d’une revue de ses inconvénients futurs ; par contre, l’honnêteté est une qualité morale qu’il ne faut pas négliger. Et pour finir, nous en déduirons que l’annonce de la vérité devrait s’accompagner d’un usage modéré des mots.

I. Toute intention d’annoncer une vérité mérite un discernement

A. Toute vérité peut être nuisible selon le contexte

Considérons d’abord cette première évidence que l’intérêt de dire la vérité dépend  plus du contexte que d’un principe moral absolu. En effet, il faut d’abord envisager les conséquences potentiellement néfastes que les autres ou nous-mêmes pourrions subir. Prenons l’exemple d’un dilemme classique : Si mes principes sont à la fois l’honnêteté et la charité, dois-je parfois respecter l’un en dépit de l’autre ? Si j’abrite une personne en péril et qu’un meurtrier dans l’intention de le tuer me demande où il se trouve, que dois-je lui répondre ? Dois-je mettre en avant que tuer est le péché le plus inadmissible, plus inadmissible que ne pas dire la vérité, et que j’y participerai indirectement moi-même par mon honnêteté infaillible ? Cette situation potentielle peut prendre plusieurs formes dans notre vie quotidienne et nous laisse parfois, malgré une décision fermement prise, perplexe dans un certain inconfort existentiel. Ce qui est certain cependant est que les conséquences de  l’honnêteté absolue sont bien plus complexes que la simple supposition d’une moralité radicale et universelle, car c’est ce qui forme le « commun ». N’est-ce pas toujours des particularités qui méritent des considérations ?

B. Se borner à toujours dire ce que l’on pense être vrai est un comportement dogmatiquement amoral

En ce qui concerne le problème du fondement de la moralité, les penseurs comme Emmanuel Kant diront que  pour être effective, un choix moral doit être désintéressé  de son but et toujours être une impérative érigé en une universalité rationnelle ; or que servirait une morale rationnelle si elle se détache absolument de la considération d’autrui. Si Kant disait dans son Fondement de la Métaphysique des mœurs : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne d’autrui, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen », alors il serait dogmatiquement borné de toujours répondre, à toute situation, par un principe aveugle de la situation. Considérons alors la situation suivante : une personne me demande alors à un certain moment de lui promettre de mentir si le cas viendrait où la vérité nuirait à sa sécurité. Quelle maxime dois-je respecter dans cette situation ? Qu’importe ma position finale, ce qui est clair est que j’étais mis en situation et que ma décision, si elle veut être moralement juste, car d’abord considérant la personne d’autrui, découlera toujours inévitablement de ma réflexion sur la situation. Dans le cas contraire où je ne n’aurais pas considéré la situation, et donc autrui, j’aurais été amoral, c’est-à-dire sans moral.

On a pu comprendre que la nature de la vérité en elle-même n’est pas le premier responsable, mais plus précisément son contexte et la conscience de son détenteur. On peut pardonner au contexte, car celui-ci est parfois incontrôlable. Cependant, celui qui le détient n’as-t-il pas un certain devoir moral envers sa parole?

II. On a le devoir d’être honnête

A.Un monde sans honnêteté est un monde chaotique

S’il y a bien un enjeu crucial que l’honnêteté représente, c’est la stabilité que procure la confiance. Ici, il n’est pas question de la véracité de notre observation par rapport au fait qu’on veut rapporter, mais plus à l’intégrité de soi par rapport à ce qu’on croit savoir. N’est-on authentique non seulement envers l’autre, mais aussi envers soi-même ? Si la tromperie devenait une monnaie courante sans scrupule, alors la parole, voire la communication en elle-même perdrait sa valeur d’échange d’information. Dès lors, le monde ne serait que notre représentation sophistiquée,  plongée dans le chaos des illusions fragiles. Nous pouvons comprendre assez vite le pouvoir de la désinformation quand celle-ci provoque des conflits globaux. Éric Weil a su argumenter cette thèse dans la Logique de la philosophie : « L’autre de la vérité n’est pas l’erreur, mais la violence, le refus de la vérité, du sens, de la cohérence, le choix de l’acte négateur du langage incohérent, du discours « technique » qui sert sans de demander à quoi, le silence, l’expression du sentiment personnel et se veut personnel ». On ne peut vivre aisément, avec la conscience tranquille, dans un tel monde d’instabilité.

B. Déresponsabiliser autrui est irrespectueux envers sa personne humaine

Analysons une autre situation, supposons qu’un médecin nous annonce qu’on  est diagnostiqué d’une maladie sans traitement, mais sans symptômes remarquablement handicapants ni douloureux, et qu’actuellement elle est entrée dans une phase terminale. Aurait-on préféré ne pas connaitre cette vérité et vivre nos derniers jours sans le souci quotidien que cela pourrait produire? Ou plutôt considérerions-nous cette annonce de façon stoïque, voire pessimiste, comme une sorte d’ouverture vers des perspectives plus « carpe diem » et qui, ainsi, revigorerait notre amour des glorieux nouveaux défis à marquer sur le passage de notre existence ? Dans tous les cas, le médecin n’a fait que respecter cette personne humaine en nous qui est capable d’être responsable de sa propre vie, aussi éphémère en restera d’elle. Selon Kant, ce qui fait la dignité d’une personne humaine c’est son aptitude  à exercer son jugement et à exercer son libre choix. Par conséquent, cacher la vérité à autrui est un manque de respect envers cette aptitude de l’autre sujet d’avoir le droit de se concerner sur ce qui le concerne directement.

Il est clair qu’il s’agit d’une affaire de respect en la personne humaine, mais il reste encore le problème de la nature de ce respect si l’on manque de « tact » dans la considération de la manière de son expression.

III. La manière dont une vérité doit être exprimée doit être considérée.

A. L’annonce d’une vérité est toujours en circonstance.

Une vérité en elle-même est neutre, elle ne veut ni du bien ni du mal et par ailleurs elle est liée à une contextualisation, mais surtout telle est aussi la situation de sa déclaration. En effet, la position spatio-temporelle de la personne qui le déclare compte autant que ce qui est déclaré, car cela implique des paramètres qui peuvent rendre le message ambigu, voire mal interprété. Jamais la communication n’est purement verbale, elle est aussi corporelle et tonale, autant visuellement que phonétiquement et cela influe par différents degrés sur la nature et la culture du récepteur, car ce dernier n’est jamais passif envers les signes. Saussure nous prévient dans son Cours de linguistique générale que « ce qu’il y a d’idées ou de matière phonique dans un signe importe moins que ce qu’il y a autour de lui dans les autres signes ». Compte tenu de toutes les subtilités complexes de la communication, ignorer ce genre de discernement est un manque d’effort considérable dans la considération d’autrui.

B. On doit considérer la façon d’annoncer une vérité

Si le cas arrivait que je doive indiquer à un tueur où il trouverait sa cible, que celui-ci soit un proche, un ami ou un quelconque individu ;  je peux le lui fournir en toute sincérité sans l’intention de l’aider à accomplir son acte et ceci sans compromettre ma moralité dans la considération d’autrui.  En fait, dans cette situation, dire la vérité ne signifie pas que je me suis consenti à participer à l’exécution de son usage  – après avoir délivré l’information, je pourrais appeler du secours. Par contre, je suis entièrement responsable de la façon dont j’ai annoncé cette vérité et de l’impact que je crois que cela pourrait produire, non par l’information, mais par ma façon de le livrer. Cela implique que je peux ainsi changer la situation dans mon intérêt ou dans celui de l’autre ou encore en  une perspective  optimiste. En effet, s’il y a une chose dont j’ai le contrôle moral,  c’est ma conduite ; et il serait d’ailleurs trop simpliste d’identifier le sens de ce mot par le simple sens de « faire », car « conduite » s’illustre mieux comme « façon de faire », ce qui est l’essentiel dans toute affaire morale.

L’être humain est toujours et déjà en réflexion par rapport à une situation donnée, mais il n’est jamais responsable de ce qui est en dehors de son pouvoir, mais encore, la conscience de son pouvoir est une affaire de connaissance qui n’est jamais absolue. Et pourtant, ce serait ôter à quelqu’un la liberté de réfléchir sur sa situation si on lui cachait la vérité concernant ses propres perspectives, le traitant ainsi, même sans être intentionnelle, comme un simple être sans volonté. C’est ainsi dans un jugement éclairé que se doit être fondé la morale de l’honnêteté, que la situation se tourne à mon avantage qu’à celui d’autrui, car autrui c’est aussi moi en tant que je « nous » respecte comme l’humanité entière.

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