Travailler, est-ce seulement mettre en oeuvre des techniques ?

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le travail est une activité proprement humaine qui consiste à produire des biens pour satisfaire nos besoins. L’homme ne produit pas n’importe comment, mais déploie son intelligence sous la forme de la technique. La technique, par contre, désigne tout moyen d’action qui a un sens pratique en vue d’une fin bien définie. En déployant de l’énergie physique et mentale, le travail humain vise l’efficacité et la rentabilité. Il semble donc que le travail et la technique sont inséparables. Toutefois, travailler est-ce seulement mettre en œuvre des techniques ? Cette question a pour enjeu l’aspect humain du travail. Si on admet que le travail n’est autre que technique, il n’a pas lieu de dire que l’homme qui travaille est différent de la machine qui produit. On ne peut pourtant nier la nature fondamentalement technicienne du travail lorsque ce dernier demande bien un savoir-faire, soit un ensemble d’actions organisées efficacement en vue d’une fin. Le travail est-il le seul domaine où la technique puisse véritablement prendre forme ? Pour résoudre ce problème, demandons-nous d’abord d’où vient la pensée qui évoque l’entrelacement entre le travail et la technique. Ensuite, remarquons que si le travail est le propre de l’homme, c’est qu’il ne s’apprécie pas comme une simple production technique, mais comme porteur de valeurs humaines.

I. Le travail représente le rapport technique de l’homme au monde

A. La technique permet au travail d’atteindre sa finalité

Tout d’abord, que serait l’homme sans la technique ? Il semble que le seul avantage que l’homme ait face à la nature soit son intelligence. Une intelligence qui est disposée à se tourner essentiellement vers des moyens d’action, c’est-à-dire la technique. Face à des situations qui ne nous sont pas familières, nous faisons l’expérience de notre ingéniosité qui découvre continuellement des moyens pour y faire face. D’abord, on observe analytiquement la situation, puis on organise des relations entre les différentes données. Enfin, on peut entrevoir différents scénarios et en choisir la plus pertinente en vue de la fin. Que les moyens qui en découlent soient rudimentaires ou raffinés, ils représentent un rapport artificiel mais nécessaire au monde. C’est que les ressources naturelles ne se donnent pas spontanément à l’homme, il faut les exploiter grâce à des subterfuges que l’intelligence pose comme médiation entre les membres de notre corps nu et la matière brute. Comme l’a souligné Hegel dans Principes de la philosophie du droit : « Par les procédés les plus variés, il spécifie la matière livrée immédiatement par la nature pour différents buts ». Et c’est l’essence même du travail. Il ne s’agit ni d’une production instinctive, ni d’un résultat contingent, ce qui signifie que le processus se distingue des mécanismes spontanés comme les réflexes. Et par son aspect rationnellement prédéterminé, on attend un produit ayant une forme et une utilité bien déterminées.

B. Le travail évolue avec la technique

Considérons maintenant le rapport intrinsèque du travail et de la technique. Principalement, le travail se définit comme la transformation nécessaire de la nature pour produire de l’utile, et la technique, comme un pouvoir d’action sur cette dernière. Il s’ensuit  que le travail semble se définir naturellement comme la technique en acte. La transformation de la nature nécessite une science des moyens, soit une connaissance plus ou moins précise de l’efficacité de certains outils et méthodes, en vue de mobiliser et manipuler les mécanismes de la nature. Parallèlement, le progrès technique cumule la fabrication d’outils en outils à chaque difficulté du travail. Au fil de ce progrès, la technique non seulement a amélioré la condition et la performance du travail jusqu’à pouvoir complètement remplacer l’agent humain dans certains secteurs, mais a aussi créé des formes de travail de plus en plus complexes selon les nouveaux besoins qu’elle s’est lui-même créés. C’est en ce sens que Marx a précisé dans Le Capital : « Sous sa forme-machine le moyen du travail devient immédiatement le concurrent du travailleur. Le rendement du capital est dès lors en raison directe du nombre d’ouvriers dont la machine anéantit les conditions d’existence ».

Il semble donc que le travail est essentiellement un procédé technique, il définit la mise œuvre de nos moyens d’action et évolue avec eux. Toutefois, faut-il pour autant oublier que c’est un être qui pose des valeurs existentielles qui travaille et non une simple machine ?

II. Il y a plus que de la technique qui est en jeu dans le travail

A. Le totalitarisme de l’esprit technique tend à réduire la valeur humaine du travail

En fait, si le travail est vu comme une simple manifestation de la technique, il s’agit surtout d’un conditionnement culturel moderne. Plus exactement, le progrès technique nous a de plus en plus cultivé la vision d’un monde qui n’est appréciable que d’un point de vue technique. Dans cette vision, nous ne pouvons plus penser notre rapport d’action au monde qu’en termes de performance et de pouvoir. Il est indéniable que le travail vise une fin et de ce fait, le souci technique compte. Il faut considérer que le concept de technique n’est pas une auxiliaire du monde physique, il ne s’agit que d’une valeur parmi d’autres aux yeux de l’homme. Nous pouvons nous engager dans notre rapport au monde selon un sens moral, esthétique ou religieux. Or, penser le travail comme purement technique réduit la valeur de la fin à celle du moyen. En approfondissant la question, Freud a commenté dans Malaise dans la civilisation la tournure qu’a pris le sens du travail : « La grande majorité des hommes ne travaillent que sous la contrainte de la nécessité, et de cette aversion naturelle pour le travail naissent les problèmes sociaux les plus ardus ». Dans l’art, par exemple on travaille la matière avec des techniques communément admises, mais le résultat attendu ne se réduit pas à une démonstration technique. C’est qu’avec notre faculté d’interprétation, il est facile de réduire le réel à une vision unilatérale, et c’est ainsi que le pragmatisme absolu corrompt toute autre appréciation.

B. Le travail est une éducation morale

Plus qu’une activité technique, le travail est la mise en œuvre de toute la qualité humaine. Si la technique vise la réussite d’un moyen, le travail ne se réduit pas à la production intelligente, mais il est la réalisation de tout un développement humain. Quand l’homme lutte dans la transformation de la matière, il se dévoile à lui-même. A l’instar de l’artiste qui est d’emblée un technicien, Aristote, dans Éthique à Nicomaque, a dit : « Tout art a pour caractère de faire naître une œuvre et recherche les moyens techniques et théoriques de créer une chose appartenant à la catégorie des possibles et dont le principe réside dans la personne qui exécute et non dans l’œuvre exécutée ». Le travail réfléchit notre conscience sur notre intériorité, on est intimement éclairé sur nos peurs, nos faiblesses, nos attentes, nos progrès… Puis, on s’éduque à travers cette épreuve, on développe notre rigueur, notre patience, notre courage, soit tout ce qui nous définit comme être conscient et autonome.

Conclusion

Comment penser la valeur humaine du travail par rapport à sa nature purement technique ? Il apparaît que le travail ne soit ni plus ni moins que le déploiement de procédés techniques. Fondamentalement, le travail représente le rapport technique de l’homme au monde. Dans les fins que nous nous donnons, on organise et on applique intelligemment les moyens, car l’intelligence est notre seul avantage naturel. La technique se définit ainsi comme la médiation nécessaire entre notre action et le monde. De plus, le travail et la technique sont intrinsèquement liés du fait que l’évolution du premier dépend du second. Il est donc difficile de ne pas considérer le travail comme étant purement la technique en acte. Actuellement, l’appréciation du monde est de plus en plus conditionnée par l’esprit technique. L’hégémonie du progrès technique a fait que nous distinguons difficilement d’autres valeurs par lesquelles on peut aussi apprécier les choses. Il faut bien noter que la valeur technique ne doit s’apprécier qu’en tant que moyen et non comme fin. Un travail n’est pas une pure démonstration technique. Enfin, le travail transcende justement son aspect technique, du fait qu’il est le théâtre de la réalisation humaine. Le travail est un espace éducatif de notre qualité humaine en tant qu’être conscient et autonome.

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