Une loi injuste vaut-elle mieux que l’absence de loi ?

La loi désigne un ensemble de règles positives qui ordonnent la conduite des hommes avec ses semblables. Elle est d’autant plus nécessaire lorsque la disparité entre les individus est manifeste, d’autant plus que chacun ne peut ou ne veut se gouverner soi-même. Mais à un stade où la loi coexiste avec les discriminations raciales et sexuelles, le bon sens tentera de ramener les choses à la normale. En effet, une loi injuste s’apparente à une anarchie déguisée, qui se manifeste généralement par le chaos. Préférer l’une de ces situations à l’autre, c’est accepter une forme de violence par rapport à une autre. Dans l’imaginaire, on pourrait espérer une société qui subsiste en l’absence de loi, et dans la réalité, il existe déjà des lois injustes dans lesquelles le peuple et l’État se complaisent. La législation est-elle seulement un devoir de l’État ou vise-t-elle une finalité ? Dans un premier temps, nous allons analyser le fait que les imperfections de la loi montrent la nature faillible des législateurs, dont le but est tenir la population sous l’autorité de l’État. Et dans un second temps, nous verrons que les lois injustes tendent nécessairement à la maladie de la Cité, voire à la gangrener jusqu’à sa disparition.

I. La loi prévaut par son efficacité

A. Il n’y a ni paix ni sécurité sans loi

Qu’est-ce qui conduit les hommes à limiter leur liberté si ce n’est le désir de sureté ? Chaque homme comprend qu’on ne peut mener à bien ses affaires dans une coexistence sans règles explicites. C’est la raison pour laquelle l’État est, car aucun homme ne peut se gouverner ni les autres avec une droiture irréprochable en tout temps. Or, les représentants de l’État, notamment les législateurs, sont des individus provenant de la masse, donc leur nature n’est pas faillible et rien ne garantit qu’ils soient intellectuellement ou moralement supérieurs par rapport au peuple qu’ils gouvernent. Par conséquent, les lois qu’ils promulguent renferment probablement une inclination vers une partie de la société, quels que soient le motif ou les mobiles internes de ce penchant. Malgré tout, Thomas Hobbes, refusant de juger la loi sous la valeur de juste et d’injuste, nous suggère : « Il en est des lois de la communauté politique comme des lois du jeu : ce sur quoi les joueurs se sont mis d’accord ne saurait être une injustice pour aucun d’eux». Il semblerait aller de soi que si la loi est une sorte de pacte, les soi-disant injustices peuvent être manifestes ou tacites. En tout cas, une chose plus impérieuse s’impose, à savoir la possibilité d’un vivre-ensemble. Dans un régime démocratique, les compromis en termes de législation sont monnaie courante, car il est pratiquement impossible de satisfaire toutes les parties.

B. On n’a pas toujours la possibilité de penser la justice

Humainement parlant, le sentiment de justice et d’injustice est tout à fait naturel, mais l’homme est confronté à plusieurs dilemmes en les appliquant dans la réalité. La nature humaine est si complexe dans sa subjectivité que l’idée de justice se contredit elle-même face à sa prétention à l’universalité. On le sait, il est impossible de faire totalement abstraction du côté subjectif lors du jugement de la réalité et de l’élaboration des idées. En ce qui concerne la législation, c’est une affaire purement humaine, bien qu’elle revête un caractère administratif de la plus haute importance. Se suffire à l’aspect moral dans l’élaboration de la loi, c’est-à-dire tout penser conformément à la justice, ne donnerait pas un résultat efficace. « L’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente ; et c’est le plus sûr : rien suivant la raison seule n’est juste en soi », affirme Pascal dans ses Pensées. Aussi, une loi est avant tout analysée sous un angle pragmatique. Tergiverser sur la décision à prendre, à force de peser le juste et l’injuste, est un comportement inadapté dans les situations critiques. On risque de perdre plus qu’on se l’imaginait. Mais une loi efficacement élaborée est plus rassurante, au moins elle a permis de régler les choses comme il se doit.

Il est clair que les injustices dans la loi soient parfois utiles et peuvent servir le peuple, car l’efficacité de la loi dans la pratique voile des défaillances internes dans son élaboration. Cependant, le peuple et l’État savent pertinemment ce qui est juste et ce qui ne l’est pas dans les choses publiques. Se complaire dans l’injustice revient à être complice de l’anarchie.

II. Une loi injuste est la source de tous les maux

A. L’anarchie et la loi injuste se conditionnent réciproquement

Quel est l’aspect fondamental qui caractérise une société sans loi ? En effet, c’est une situation qui est tout simplement impensable, et même dans les fictions de l’esprit, il n’est pas souhaitable de vivre dans l’anarchie. Pour pouvoir penser une société sans loi, il faudrait que les hommes vivent soit comme des êtres solitaires, donc pas de société, soit comme des êtres parfaits, donc n’ayant pas besoin les uns les autres, et point de société non plus. Toutefois, une anarchie ou l’absence de loi s’immisce progressivement dans une société quand les actes malveillants ne sont pas punis, ou bien lorsque les citoyens ne veulent plus se soumettre à l’autorité étatique. Rousseau, dans le Contrat social, employait ces termes : « Quand l’État se dissout, l’abus du gouvernement quel qu’il soit prend le nom commun d’anarchie ». En soi, une anarchie ne signifie pas originairement aimer le mal et l’injustice, cela pourrait renvoyer à l’amour de la liberté. Mais vouloir vivre dans une société anarchique engendrera nécessairement le libre recours à ces deux fléaux. Parallèlement, appliquer explicitement une loi injuste, c’est vouloir surpasser tout le monde dans ses droits et libertés. Donc, la loi existe, mais profite seulement à une minorité. Par conséquent, bien que l’anarchie proprement dite n’existe pas réellement, une mauvaise élaboration ou application de la loi laisse déjà entrevoir une forme d’anarchie.

B. L’injustice tend vers la décadence de l’État

Bien que le souhait de privatiser l’État a déjà émergé chez certains partis politiques, aucune organisation politique n’a jusqu’ici choisi de bâtir un gouvernement sans loi. Après avoir comparé une loi injuste et l’absence de loi, l’on constate alors que le premier est une forme réelle, tandis que le deuxième est une forme fictive. Une loi injuste ne peut subsister longtemps dans une société, au risque de faire éclater une révolte. Dire que l’absence de loi vaut mieux que le despotisme, c’est choisir de commettre l’injustice plutôt de la commettre. Le mieux que l’État et le peuple puissent faire, c’est d’être fidèle au concept d’État de droit et de le réaliser progressivement tel que la raison l’exige. Et selon les propos de Kant dans la Doctrine du droit, « si la justice disparait, c’est chose sans valeur que le fait que des hommes vivent sur la terre ». L’État peut encore subsister même lorsque les lois sont injustes, mais il existe ce qu’on appelle la « maladie de la cité ». Dans ce cas, il y a un vivre ensemble, mais la justice n’est pas. Vouloir l’absence de loi, cela signifie démolir l’appareil étatique, ce qui ne guérit pas l’injustice.

Que faire quand une loi est inacceptable et qu’on ne peut accepter en même temps l’absence de loi ? La question semble sans issue, puisque ni l’une ni l’autre des deux situations ne sont profitables au peuple. L’on a vu que la loi est indispensable, car celle-ci garantit le vivre ensemble des hommes. La loi est avant tout d’ordre pratique, telle est sa finalité. Les injustices existent, car il n’y a pas de lois parfaites. Cependant, l’intolérance envers l’injustice ferait naître l’idée selon laquelle il vaut mieux vivre en anarchie plutôt que de subir la cruauté d’un despote. Tôt ou tard, le despotisme ruinera l’appareil étatique, et les comportements des hommes ressembleraient à une situation anarchique. A force de vivre dans une société injuste, on est déjà de fait dans une absence de loi. Ainsi, une loi n’a plus sa raison d’être quand elle trahit son vœu d’établir une communauté harmonieuse, et surtout quand elle manque de respect à la dignité humaine. Par contre, l’homme ne peut se débarrasser de la société, et vouloir vivre en anarchie est tout simplement une utopie passagère.

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