Une vérité ne peut-elle être établie que par la démonstration ?
Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
La démonstration désigne l’opération discursive de la raison qui consiste à développer une idée qui fait l’accord entre les esprits. Ce processus demande un souci de cohérence. La vérité quant à elle est une valeur émanant du jugement. Dans son sens commun, un jugement est vrai s’il se rapporte conformément aux faits. Or, ce jugement ne va pas de soi sans un développement discursif qui l’appuie. Il faut bien la soutenir rationnellement pour dépasser l’opinion paresseuse et c’est là qu’est le rôle de la démonstration. Toutefois, une vérité ne peut-elle être établie que par la démonstration ? Le sentiment du vrai tient-il seulement d’une conclusion rationnelle ? Par ailleurs, on peut se demander si la démonstration, dans le sens où son rôle consiste à développer ce qui est déjà pensée comme vraie, n’établit donc qu’autre chose que la vérité. Entre autres, la vérité a-t-elle besoin de l’appui du raisonnement rationnel pour être reconnu ? Nous verrons dans une première partie qu’en tant qu’objet de la raison, la vérité a ses critères rationnels qui nécessitent d’être démontrés. Toutefois, dans une seconde partie nous verrons que ce qui fait l’établissement d’une vérité est irréductible à la simple démonstration.
I. La vérité doit être développée de manière rationnelle
A. La vérité dépasse l’opinion grâce à la démonstration
Il faut d’abord distinguer la valeur de la vérité face à celle de l’opinion. Une opinion est un jugement précipité par une certitude non développée. Or, ce dernier peut cacher un fort sentiment de conviction morale, politique ou religieuse ou une sensibilité réduite. Choses qui appartiennent proprement au sujet et non à l’objet auquel on porte son jugement. « Les idées religieuses qui professent d’être des dogmes, ne sont pas le résidu de l’expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l’humanité », constate Freud dans L’avenir d’une illusion. Par conséquent, la démonstration est nécessaire pour faire le tri entre ce qui est objectif ou non, car son souci de la rigueur mobilise la raison à ausculter ses propos. En effet, quand on veut démontrer, on fait preuve de prudence. La raison dans sa réflexion s’efforce d’éclaircir toute mise en relation, car on n’enchaîne pas ses propos sans avoir clairement à l’esprit leur évidence.
B. Il n’y a pas de contradiction dans une proposition vraie
Fondamentalement, cet accord de la raison à elle-même par la démonstration est maintenu par la cohérence de son raisonnement. La cohérence est la qualité d’un discours qui respecte les principes fondamentaux de la logique. On y retrouve le principe de l’identité qui pose que A est identique à lui-même, le principe de non-contradiction que A ne peut pas être en même temps A et non A, et enfin le principe du tiers exclu qu’il n’y a que A et non A et aucune troisième possibilité. La cohérence est la clé de voûte de tout discours qui veut être communicable, car elle est la structure innée de la raison et donc universelle. En ce qui concerne la tâche de la raison, considérons les propos de Kant issus de la Critique de la raison pure : « Tout raisonnement de raison est une forme de la dérivation qui extrait une connaissance d’un principe ». Ne pas la respecter, c’est dire n’importe quoi et donc rien aux yeux de la raison. Une vérité en ce sens ne peut que porter la cohérence et la démonstration, qui a pour rôle de l’éclaircir.
La vérité est donc ce qui nécessite d’être démontré dans le souci d’objectivité et de cohérence. Toutefois, remarquons déjà que si la démonstration est un développement, elle ne peut donc partir de rien. De plus, si elle n’a que le souci de la forme, n’est-elle pas en ce sens plus du côté de la raison que de la réalité à laquelle on veut rapporter nos propos ?
II. L’établissement de la vérité dépasse la seule démonstration
A. La démonstration a ses limites dans sa prétention à la vérité
Tout d’abord, il faut bien considérer que la démonstration a ses limites. Aristote, le père du syllogisme, dans ses Métaphysiques souligne qu’ « il est absolument impossible de tout démontrer car on irait à l’infini, de telle sorte qu’il n’y aurait pas encore de démonstration ». En effet, en toute rigueur on ne peut pas régresser à démontrer tous les propos que l’on enchaîne dans notre raisonnement, car ce serait une tâche infinie. Ainsi, la démonstration peut très bien servir de sophisme, soit l’art de la seule argumentation, à partir de prémisses que l’on aura choisies arbitrairement. Celui qui est mû par ses passions peut développer un raisonnement cohérent sans avoir des prémisses vérifiées par les faits. On dira ici que ce qui n’est pas validé par l’épreuve des faits ne devrait pas alors servir de prémisses. Cependant, cela ne tient plus, comme le dira Leibniz, des « vérités de raisons » qui valent par leur non-contradiction, mais des « vérités de faits » qui ne suggèrent aucune question de cohérence ou non. Dire que puisque le soleil se lève tous les jours, il se lèvera aussi demain, or que cela ne se produisait pas, ne dit pas que le raisonnement est incohérent. C’est juste que cette proposition ne se rapporte plus à la conformité des faits.
B. La vérité s’établit par autre chose que la démonstration
Si la démonstration est donc limitée, où donc se fonde la vérité ? En fait, l’idée de vérité dépasse la seule raison discursive. La démonstration se pose tout d’abord à partir d’axiomes. Ce sont des bases que l’on admet par une première évidence inéluctable, ou que l’on pose par nécessité comme vraies, car étant la clé de voûte de tout un système. Ce sont les limites auxquelles l’esprit s’accorde dans ses analyses les plus poussées. En ce qui concerne le rapport de la raison avec les faits, la science propose le raisonnement hypothético-déductif, c’est-à-dire qu’on tire une conclusion à partir de l’observation expérimentale d’une hypothèse. Ce raisonnement dépasse la seule démonstration qui prouve les vérités de raison, et la seule induction qui risque de ne fonder que sur l’habitude. Elle tire de la démonstration, la déduction à partir de prémisses intuitives et le souci rigoureux de la cohérence. Quant à l’induction, elle ne veut pas se séparer des faits et de la répétition des observations. C’est ainsi que Robert Blanché souligne dans l’Axiomatique : « La pensée transcende le système de signes, elle doit le survoler pour le saisir comme tel, mais sans lui, à défaut d’un contact direct avec les choses, elle se perd dans l’indéterminé ». Il faut toutefois remarquer que la vérité scientifique n’est pas la vérité-correspondance absolue. Elle n’est qu’un modèle qui est une convention provisoire en attente de « faits polémiques » (Bachelard) que l’on n’a pu encore observer à cause d’une limite technique ou d’une incomplétude.
Conclusion
La vérité est-elle à elle-même son propre signe ou nécessite-t-elle d’être démontrée ? Il semble évident que la vérité est ce qui est démontré et accepté par la raison, car d’abord il faut la distinguer de l’opinion qui est obscure, et qu’ensuite il faut montrer sa cohérence. Elle offre donc satisfaction à la pure raison qui veut se reconnaître dans ses propos. Toutefois, cette démarche est un rapport de la raison à elle-même et rien de plus. Le rapport de ses propos avec les faits est au second plan, et pourtant la vérité doit bien être tirée des faits. Mais cette hétérogénéité des deux types de vérités trouve leurs synthèses et le dépassement de leur limite dans le raisonnement hypothético-déductif. Un raisonnement dont il faut aussi accepter les limites, mais qui lui permet justement de progresser. Ainsi, on sait que l’évidence ne suffit pas ? mais qu’il faut bien partir d’intuition, à modérer sous le nom d’hypothèse. Cette observation est à diriger avec une démarche rigoureuse et cohérente.