Y a-t-il des certitudes sans démonstration ?
« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Cette fameuse maxime de Socrate retrouvée bien plus tard chez Platon sous forme d’adage dans son célèbre Menon nous pousse à réfléchir sur ce que nous appelons véritablement certitudes. L’homme, individu doté de raison est assailli par des doutes qui pèsent sur sa conscience et altèrent sa compréhension du monde. Mais si l’homme est doté de cet appareil extraordinaire que nous appelons la raison humaine, le permettant de développer son potentiel et ses facultés cognitives au maximum, l’homme a toujours cherché à éliminer le doute dans son existence terrestre. Doute ou certitude ? Une question demeure : Y a-t-il des certitudes sans démonstration ? Afin de répondre à cette question, nous verrons dans une première partie la nécessité de démontrer nos certitudes, et dans une deuxième partie, qu’il peut exister des certitudes sans démonstration.
I. Il n’y a pas de certitudes propres sans démonstration (CERTITUDE vs DOUTE)
Nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de certitudes sans démonstration car à l’instar du fond et de la forme qui s’unissent en vue de donner naissance à une œuvre, la démonstration produit la certitude et la rigueur du raisonnement. La certitude est donc une opinion considérée comme vraie, elle s’oppose ainsi au doute. Force est donc de constater que la certitude vient avec la démonstration car elle s’oppose au doute. Comme le dit Platon « Seule la raison saisissant les choses intelligibles, peut atteindre le principe absolu ». Il n’y a pas donc de certitudes propres sans démonstration car la démonstration usant de la raison est l’appareil qui nous permet de saisir les choses intelligibles dans leur réalité. Cette quête de l’absolu comme le suppute Platon, entraine l’homme à un usage exclusif de sa raison afin de maîtriser l’art de la démonstration. En effet l’homme cherche à comprendre et à dominer son univers comme le confirme Épictète « Les hommes sont doués de raison, élément divin qui gouverne l’univers. » Ainsi, les certitudes de notre environnement ont été basées sur la démonstration, toute certitude doit être démontrable, sinon elle ne serait qu’une opinion et donc ne serait pas démontrable et donc valable. La certitude peut aussi nous plonger dans l’ILLUSION d’où la nécessité de la démonstration, et même l’exigence de la démonstration car une certitude qui n’a pas été éprouvée et testée ne serait alors qu’un ramassis d’opinions. Mais si l’exigence de la démonstration est bien réelle, il faut lier à cela l’expérience comme l’indique Bacon « En se liant à l’expérience, la raison construit la vraie méthode. » Et à ce jeu, la logique découlant des règles de la démonstration formelle, propose de se lier à la science afin d’apporter une certitude scientifique, plus poussée, plus vérifiée. « La méthode scientifique repose sur la raison » nous dit KOYRE et une certitude est une idée jugée vraie, pour avoir raison, il faut donc le démontrer. Les certitudes scientifiques ont été fondées par la rigueur de la démonstration. C’est donc pour combattre le doute que la certitude doit se lier à la démonstration.
II. Il existe des certitudes qui n’impliquent aucune démonstration
Bien que la démonstration soit la reine mère de toute certitude, il se trouve que certaines certitudes n’impliquent aucune démonstration en elles-mêmes. L’exemple le plus flagrant reste sans nul doute le cogito ergo sum de René Descartes, « Je pense donc je suis », ce postulat de la raison pratique ne nécessite en aucun cas d’être démontré bien qu’il implique une relation causale entre la proposition une et deux liées par la conjonction de coordination. Mais coordonner nos certitudes avec notre entendement doit-il toujours passer par la rigueur démonstrative ? Il appert que non dans certains cas, car la certitude est bien souvent un processus post-démonstration. La majorité de nos certitudes seraient en réalité sous phase embryonnaire des pensées ou des schèmes de vérité qui de par le canal idoine de la démonstration prendrait complètement vie par la suite. Dans l’allégorie de la caverne, Platon souligne bien ce constat, quand les individus enfermés dans la caverne ont la certitude qu’il y a beaucoup plus que cela derrière la caverne, qu’il y aurait plus que ce monde souterrain, et leurs certitudes se sont révélées authentiques une fois qu’ils ont décidé de franchir le cap de l’obscurité à la lumière. L’obscurantisme du mythe de la caverne nous rappelle alors ainsi que nos certitudes n’ont pas besoin d’être toujours démontrées avant que nous y croyons, certaines sont dotées de bien plus que la raison : l’intuition. Ainsi, la certitude est le point de départ mais elle cherche à être vérifiée, et non à être prouvée par la démonstration, le processus n’est donc pas le même. La certitude de notre propre existence par exemple n’a besoin d’aucune démonstration : COGITO ERGO SUM ou je pense donc je suis est la certitude que le sujet existe dans la conscience qu’il a de lui-même. La conscience et l’intuition apportent ce que la démonstration ne peut se soustraire. « L’infini révèle ainsi les limites de la raison, l’irrationnel caractérise la condition humaine de notre existence ». D’ailleurs, comme le suppute Nietzsche, « Ni notre raison, ni le monde sont tout à fait rationnels, » et donc le réel ne peut être appréhendé uniquement de par la raison et la démonstration car nous avons la certitude du sensible et de la perception dès notre existence, existence et connaissance sont ainsi liées, indépendamment de la démonstration dans certains cas. Descartes, dans (Règle IV) nous dit : « aucune science ne peut s’acquérir autrement que par l’intuition intellectuelle ou par la déduction » et c’est donc l’intuition qui est l’argument majeur pour expliquer le fait que certaines certitudes ne nécessitent aucune démonstration. Ainsi, comme pour reprendre le célèbre Héraclite, « le réel nous dépasse sans cesse,» et donc il existe des certitudes qui n’impliquent aucune démonstration.
Nous comprenons vite que la certitude s’associe ainsi spontanément dans notre esprit avec l’idée de vérité car elle s’oppose au doute. Être certain de quelque chose c’est donc prendre une position en ne doutant point de la validité de notre point de vue. Le caractère positif de la certitude se rapproche donc de la notion d’évidence. Il y a donc des preuves dans le principe de démonstration et les preuves ne sauraient être énoncées sans avoir été démontrées préalablement. Cependant, les preuves peuvent aussi exister indépendamment du principe de démonstration car le réel étant trop complexe pour nous, notre raison est limitée à notre perception et c’est là qu’intervient l’intuition. Force de l’esprit et inhérente à sa nature même, l’intuition permet à la raison d’aller au-delà des limites fixées par celles-ci. Dans ce sens, certaines preuves n’ont pas besoin d’être démontrées parce qu’elles ne retranscrivent pas véritablement la complexité du réel.