Y a-t-il des vérités indiscutables ?
Une question à priori absurde dans le sens où l’histoire de la science semble démontrer la réussite même de nos idées dans la connaissance du monde. Toutefois, son histoire montre aussi qu’à la suite de découvertes de nouvelles problématiques de plus en plus stimulantes sur la nature des phénomènes, la communauté scientifique admet souvent que leurs théories ne sont pas des modèles parfaits des réalités qu’elle tente de saisir, car elles sont toujours en attente de raffinement et ou de réfutation totale. Les théories étant basées sur des principes conventionnels plus que sur des rapports absolument correspondants à des réalités. Cependant, ne faut-il pas dans la considération de notre capacité intellectuelle à produire des concepts pratiques à l’instar du progrès technique de tirer quelque connaissance essentielle de notre rapport au monde ? En premier lieu, nous allons développer l’idée que toute prétention de correspondance à la réalité est discutable mais qu’ensuite en second lieu, nous allons aussi voir que notre rapport au monde a des liens indiscutables.
I. Tout concept voulant correspondre à la réalité est discutable
A. Les fondements ontologiques des vérités mathématiques sont discutables sur leur correspondance à la réalité concrète
En premier lieu, parlons des vérités mathématiques dont la manipulation raffine le succès pratique de nos sciences exactes. Il faut reconnaître que la renommée des théories mathématiques est d’abord sous-tendue par le succès de ses domaines d’applications et considérée par ses valeurs qui sont originalement d’ordre pragmatique. Cependant, il faut aussi savoir que leur réalité est abstraite et que par cela elles risquent de ne pas complètement saisir la réalité concrète. Les mathématiques sont la science des modèles abstraits basés sur des axiomes acceptés pour évident et opérant dans les conditions de la logique humaine. Si on remonte à ses premières origines, on peut constater qu’elles étaient d’abord une affaire de quantification et de mesure, c’est-à-dire qu’elles s’occupaient d’abord à saisir des unités dans les choses pour garantir des précisions. C’est là cependant que se pose un certain problème : si par abstraction, les mathématiques généralisent la circonscription des phénomènes, alors elles risquent d’omettre des particularités qui peuvent être importantes. Ce problème se situe le plus remarquablement dans leur application dans les domaines des sciences humaines quand elles tentent ambitieusement de saisir la volition humaine à partir de probabilités et de statistiques. Dans ce domaine, elles ne peuvent être qu’approximatives car la nature humaine de la volonté semble toujours pouvoir transcender les prévisions déterministes. Pourtant, parfois dans cette petite marge, aussi infime soit-elle, il peut se produire un phénomène qui peut ébranler tout l’édifice d’un calcul rigoureusement opéré. Les différentes crises économiques à travers l’histoire du marché mondial nous montrent que les mathématiques ne peuvent prétendre à saisir avec exactitude toute la complexité des différents facteurs en jeu dans les statistiques ou dans les probabilités sur le phénomène humain qui lui ne peut jamais être isolé quantitativement. Les mathématiques se basent sur un idéal, celui de la précision objective qui ne saurait complètement saisir la réalité, car c’est d’abord l’homme qui en a besoin et ce n’est pas encore confirmé pour le reste de l’univers. Dire comme Galilée que « le grand livre de la nature est écrit dans le langage mathématique » est un acte de foi et non une certitude absolue.
B. Le problème de la réfutabilité des vérités scientifiques
Les connaissances s scientifiques aussi sont discutables, car elles ne représentent que ce qui ne sont encore réfutées et donc consensuellement admises. Nous remarquons que les modèles scientifiques semblent avoir un succès constant dans leurs applications tant théoriques que techniques, mais nous constatons aussi qu’ils butent souvent sur des obstacles tant théoriques qu’expérimentales qu’ils soient reformulés ou remplacés. On peut prendre comme exemple la théorie corpusculaire de la lumière développée par Newton qui fut rendue obsolète par rapport aux phénomènes de diffraction et d’interférence et dont on aura remplacée par la théorie ondulatoire d’Huygens. Il faut remarquer avec Karl Popper que les vérités scientifiques sont avant tout des approximations de la vérité corroborée, car elles sont toujours en attente de réfutation à la vue de nouvelles données où de nouveaux phénomènes qui puissent les infirmer. Karl Popper dira de la scientificité d’une théorie qu’elle« réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester ». C’est donc justement la discutabilité des théories qui fait progresser la précision d’une vérité scientifique.
Ainsi, on a pu remarquer qu’une vérité qui tente de correspondre à la réalité est vaine à cause de son imprécision qui laisse encore une grande marge à sa discussion. Il faut cependant aussi voir que ce serait contradictoire à la nature de notre rapport au monde, qui fonctionne, d’être absolument sceptique.
A. Les structures logiques d’une proposition sont indiscutables
Nous ne pouvons pas ignorer notre structuration logique du monde. On peut très bien reprocher des imprécisions et des incohérences à une théorie mathématique ou repérer des lacunes et des éléments contradictoires dans une hypothèse lorsqu’on le soumet à l’expérience mais on ne peut se détacher des principes logiques qui s’opèrent dans notre esprit dans leur compréhension. Il semblerait que la raison n’ait pas une capacité illimitée à comprendre les phénomènes. Toute opération rationnelle est en fait structurée dans des conditions innées à notre cerveau qu’est la logique. Il faut savoir qu’elle s’établit fondamentalement en trois principes. D’abord, il ya le principe de l’identité où notre esprit semble ne reconnaître les choses que par discontinuité d’unité, je ne peux que reconnaitre distinctement A en tant que A et B en tant que B. Ensuite, le principe de la non contradiction qui est lui-même est sous-entendu par le principe d’identité que je reconnais A et ce qui est non-A (tout ce qui n’est pas A) ; et donc que A ne peut pas être en même temps A et non-A. Enfin, le principe du tiers-exclus qui est sous –tendu par les deux principes en ce sens qu’il ne peut y avoir une troisième possibilité. Soit je reconnais A , sois Non-A. La logique implique qu’elle est la seule structure disponible où l’homme peut communiquer du savoir à travers le discours, car la cohérence de ce dernier ne peut que se maintenir par elle. Que dire alors de l’existence des paradoxes qui semblent contredire le principe de la non-contradiction. Par exemple, je peux dire que je suis un Crétois et je dis que : tous les Crétois sont des menteurs, ce qui revient à dire que je mens en même temps que je dis la vérité. D’un point de vue syntaxique, il n’y a rien de paradoxal dans cette proposition, car il n’y a juste qu’une contradiction en ce sens que P ne peut impliquer la possibilité de non-P sinon en vertu de quoi on aurait la possibilité de dire n’importe quoi. Ce n’est seulement qu’à un niveau sémantique dans le sens de « dire » et de « menteur » que les choses se compliquent.
B. Il est indiscutable que la vérité d’une connaissance se situe dans une construction conceptuelle
Le problème du sens est produit par l’incapacité de son débat à le situer dans un champ conceptuel défini où sa valeur cognitive peut être jugée plus clairement.Pour expliquer cela, il faut d’abord comprendre que la vérité n’est pas une simple correspondance avec la réalité mais la création d’idées opérables et opérantes sur elle. Ce qui implique que la réalité n’est pas quelque chose qui est passivement absorbée par le sujet mais elle est un phénomène qui se construit avec sa pensée. On parlera alors de « concept », qui selon Louis-Marie Morfaux dans son vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines « suppose une double relation, d’une part avec la chose représentée, d’autre part avec le sujet actif. » Il ne s’agit plus ici de présenter la réalité du rapport humain au monde comme la dichotomie sujet pensant/objet concret mais plutôt la reconnaissance de la multiplicité de perspective qui découle de la subjectivisation du phénomène. Il faut comprendre ici que les « objets » ne sont jamais seulement concrets mais aussi métaphysiques. On parle notamment de la justice comme l’objet de la science du droit. Aussi, on ne peut évaluer la pertinence d’une proposition, par exemple que Dieu est bienveillant, que par rapport à son champ conceptuel, qui est par cet exemple l’hermeneutisme (l’interprétation de texte) ou la théologie. La nature conceptuelle de la vérité doit être saisie dans une structure sémantique définie où chaque sens n’est définissable que par les relations d’équivalence ou d’opposition qu’elles entretiennent avec les autres. Ainsi, on parlera de différents champs d’observation et de méthode (expérimentale, contextuelle, introspective), car ayant différent types d’objets (concret, psychologique, métaphysique).
On a pu constater la difficulté presque paradoxale du sens de la question. Admettre ou réfuter qu’il y ait des vérités indiscutables revient à interdire la nature mouvante de la pensée qui aura amené à la question tant à sa problématisation. Cependant, on y a pu développer quelques points importants à savoir d’abord qu’essayer de correspondre parfaitement la vérité, qui est une construction mentale, à une réalité aux multiples considérations ouvre sur le champ d’un débat sans fonds. Toutefois, on a aussi pu constater que notre rapport au monde est structuré par des conditions indiscutables : que premièrement une connaissance pour être considérée comme vraie ne peut échapper aux structures logiques de sa compréhension et qu’ensuite la pertinence de sa vérité doit nécessairement se situer dans le champ conceptuel où elle évolue sans quoi elle ne dirait rien.