Y a-t-il un mauvais usage de la raison ?
La logique des passions qu’illustrent ces grandes guerres combattues pour des convictions que certains penseraient absurdes nous laisse parfois perplexe sur la rationalité des sentiments qui les ont incitées. Mais peut-on parler de rationalité quand il s’agit d’affections subjectives ? Pourtant, les grands discours des hommes politiques sous-tendent toujours la « cause » à défendre par un raisonnement souvent impeccablement élaboré qu’ils eurent toujours des hommes s’estimant « raisonnables » se sacrifiant pour elle. Ainsi, l’on se demande s’il y a fondamentalement un mauvais usage de la raison. La raison est-elle un moyen au même titre que les autres outils, ou une fin faisant miroiter un idéal précis ? Pour mieux juger des tenants et aboutissants de l’usage de la raison, il faudrait d’abord définir sa nature et les enjeux de son utilisation. C’est dans cette optique que l’on pourrait discuter de l’idée de « bonne » méthode concernant cette dernière.
I. La raison est un pouvoir naturel
A. L’usage de la raison est une faculté innée
En premier lieu, il est d’abord impossible de ne pas pouvoir user de la raison, c’est-à-dire cette faculté propre de l’homme de concevoir son approche du réel et, par conséquent, d’agir et de produire sur celui-ci. Par ailleurs, il n’existe pas d’humain incapable de raisonnement, car le fou présente sa manière propre d’opérer sa pensée, sauf qu’il a « perdu la raison », qui est le principe universel commun à tous les autres hommes. Il faut bien en effet distinguer raisonnement et rationalité : « le raisonnement est l’art de comparer les vérités connues pour ne composer d’autres vérités qu’on ignorait et que cet art nous fait découvrir », telle est la définition donnée par Rousseau. La rationalité, quant à elle, est le socle de la validité objective et primitive de cette dernière. A tout moment, même en construisant des phrases dans mes paroles, je fais preuve d’une volonté de raisonner. La raison étant un automatisme, il ne me reste plus que de mettre en œuvre le potentiel de ma raison qui est toujours et déjà en puissance. Autrement dit, si le raisonnement n’est certainement pas automatique, l’irruption de la raison, elle, l’est. Dès que l’étonnement excite ma curiosité, ma volonté de « raisonner » se déploie.
B. L’usage de la raison obtient l’aval de la morale
Puisque l’usage de la raison dépend donc de ma volonté, elle ne peut être alors une nécessité. Ainsi, « raisonner » doit donc se retrouver sous l’ordre d’une autre instance. Cette instance ne peut-être que le devoir, puisque les enjeux de l’usage de la raison sont intimement liés à l’éthique. En fait, la raison ne fait que servir, elle sert non seulement l’instinct de survie par l’application des connaissances techniques s’y relevant, mais elle sert aussi à l’agencement des valeurs métaphysiques telles la justice, l’amour ou encore le beau. Voilà pourquoi il faut que la raison s’auto-examine dans les propos dont elle met l’argumentation en jeu, car nous le constatons dans les propagandes pleines de doctrines, l’art du discours peut avoir un but néfaste à l’égard des droits de l’homme. En fait, tant que la raison cherche un ordre dans les propos des choses et nous donne des règles d’actions qui assurent un comportement mesuré, son usage sera digne de l’être humain. En effet, être humain c’est se distinguer des animaux qui n’agissent que par instinct, et vu cette aptitude originale de réfléchir sur nos actions, ce serait un manque de respect envers notre nature de ne pas faire l’effort d’en user.
Si l’usage de la raison est alors toujours à notre porté et qu’il soit d’ailleurs un devoir, alors ne serait-il pas aussi un devoir de bien savoir la maitriser ?
II. La cohérence du raisonnement est nécessaire
A. L’absurde est un signe d’un mauvais usage de la raison
Si cette faculté est naturelle, il n’est pas donné à tout le monde de bien la maitriser. Un mauvais usage de la raison est d’abord illustré par les contradictions logiques. Une contradiction logique est l’opposition de deux propositions qui ne peuvent s’impliquer, car étant discontinue soit, d’abord, dans la forme (syntaxiquement) et ou, soit dans le sens (sémantiquement). Si je pose que A appartient à un tel ensemble X, alors que j’ai auparavant posé B en tant qu’exclue de X, et pourtant dans ma conclusion j’associe la nature de A à B alors, il y une incohérence dans mes propos et c’est une erreur de ma part. Par contre, un raisonnement correct qui donne lieu à une démarche et une conclusion irréprochable mérite une autre interrogation quant à son usage, c’est-à-dire son insertion dans la vie quotidienne. Si l’on ne validait que les raisonnements à implications formelles alors la communication perdrait tout son pouvoir d’échange d’information. Dire que si A appartient à l’ensemble B et que C soit de l’ensemble A alors C est donc de l’ensemble B, ne donne rien de ce qui se rapporte d’un fait empirique. S’agirait-il d’un mauvais usage de la raison ? Effectivement, c’est le cas. La méthode rationnelle peut des fois perdre sa place dans le monde des communs des mortels.
B. L’usage de la raison s’apprend dans la philosophie
On pourrait manipuler à tout effet la puissance argumentative des sentiments grâce à un discours sophistiqué, mais un raisonnement incohérent dans le jeu des différentes implications de ses propos ne saurait échapper à un esprit aiguisé. Mais comment alors toujours s’assurer d’un raisonnement cohérent ? Descartes nous instruit que la raison ne doit pas aller de soi, mais qu’il lui faut une méthode rigoureuse. Ainsi dans son « Discours de la méthode »,il nous propose les règles suivantes : « d’abord ne recevoir pour vrai que ce qui se présenterait de manière claire et distincte. Ensuite il faut diviser les difficultés complexes en éléments simples pour permettre de les résoudre aisément un à un. Après, il faut conduire par ordre ses pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaitre pour monter peu à peu par degré en déduisant d’évidence en évidence. Enfin, il faut faire une ré-examination entière par prudence de ne rien omettre ». Cependant, un raisonnement solitaire ne peut complètement assurer la cohérence, car elle n’aurait pas été alors testée par la confrontation qu’offre le dialogue. Les philosophes de la dialectique comme Platon et Hegel placent le dialogue comme l’accès le plus naturel à la connaissance ; et donc la meilleure technique pour affiner notre raisonnement. Ce dialogue doit être cependant plus attentif qu’affirmatif dans la prudence d’un simple étalage d’opinions. En effet, l’expérience de la contradiction qui nous fait progresser ne peut d’abord venir que d’une humble ouverture d’esprit qui sait se réexaminer continuellement.
Pour conclure, la raison est une faculté universellement admise chez tout être humain, quelle que soit sa culture ou la société d’où il vient. Savoir user de la raison n’est même pas un héritage culturel ni génétique, mais qui est avant tout conforme avec les préceptes, éthiques ce qui fait toute sa particularité. Mais puisqu’il n’y a pas de domaine où l’homme est pratiquement infaillible, il est courant de voir des cas de mauvais usage de la raison, ce qui se traduit par le terme erreur, et qui peut se corriger par la raison elle-même. Tout compte fait, la raison pourrait être formellement et pratiquement mal utilisée si la méthode qu’elle s’est prescrite elle-même faisait défaut. Cette maladresse se présente parfois par l’utilisation de la rationalité et d’un raisonnement cohérent vers des fins immorales. Dans ce cas de figure, le problème ne sera plus de l’ordre du savoir, mais du vouloir.