Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Résumé
I. L’architecture du recueil
Baudelaire a écrit une œuvre phare durant une vingtaine d’années.
La genèse des « Fleurs du Mal« : le plus ancien poème a été composé en 1841, à l’île Maurice, « A une créole », inspiré par la personne chez qui il logeait. Ce poème paraît dans l' »Artiste » en 1845.
Entre 1841 et 1845, il écrit des poèmes (dix environ) pour les « Fleurs du Mal« . A cette époque là, Baudelaire ne pense pas faire un recueil, mais en 1845, cette idée germe en lui, avec comme titre les « Lesbiennes« . Ce titre va être abandonné, et remplacé en 1848 par un titre plus mystérieux, « Les Limbes » (les Limbes, dans la théologie chrétienne, sont un espace intermédiaire où séjournent les âmes qui n’ont pas été baptisées), et sous ce titre vont apparaître onze textes en 1851. Mais il va une nouvelle fois décider de changer, car un autre poète utilise déjà ce titre. Il va donc en chercher un nouveau, et c’est en 1855 que le terme les « Fleurs du Mal » va apparaître.
Ce titre aurait été trouvé par un ami de Baudelaire : Hyppolite Babou, et si Baudelaire l’a retenu, c’est parce qu’il correspondait profondément à son esthétique : « extraire la beauté du mal », ce qui correspond à ses poèmes. Ce titre est paradoxal, car habituellement le mal ne donne pas naissance à la beauté. Or pour Baudelaire, toutes ces fleurs issues de la souffrance, sont une désignation métaphorique de ses poèmes. C’est sous ce titre que vont paraître dix-huit poèmes dans la « Revue Des Deux Mondes » (revue littéraire) en 1855. En 1856, Baudelaire signe avec son éditeur, Poulet Malassi, et cent poèmes sont publiés (il fait beaucoup de traductions entre 1855 et 1857, avec les œuvres d’Edgar Allan Poe).
Les différentes sections du recueil et leurs contenus : en 1861, une seconde édition paraît et va être enrichie de trente-deux poèmes. L’œuvre compte désormais cent vingt-six textes, puisque six ont été enlevés lors du procès. L’apparition de la section « Tableaux parisiens » provoque une modification de l’ordre du recueil (la section est composée de dix-huit poèmes). Cette seconde édition est celle qui sert de référence, encore aujourd’hui (mais il y a aussi les six poèmes condamnés). « Architecture du recueil » : expression qu’avait utilisé Barbey d’Aurevilly, romancier et critique, défenseur et ami de Baudelaire. Il aurait parlé d' »architecture cachée », plan pré-établi et souci de cohérence, d’organisation de la part de Baudelaire. « Le livre doit être jugé dans son ensemble et alors il s’en ressort une terrible moralité », citation de Baudelaire lors de son procès. Baudelaire écrit à De vigny : « Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu’on reconnaissance qu’il n’est pas un pur album et qu’il possède un commencement et une fin » : ce qui montre sa blessure. Le recueil doit se lire selon un ordre, comme un roman, puisque les textes sont disposés selon un sens. Le recueil commence par « Bénédiction » et finit par « La Mort », il suit le cour de l’existence humaine ; « Au lecteur » est considéré comme une sorte d’apologue.
Spleen et Idéal : Partie la plus longue (poèmes 1 à 85), thématique : double postulation : enfer, détresse/ ciel, idéal, bonheur : conscience du poète, qui oscille entre ces deux pôles. Il y a plusieurs cycles à l’intérieur de la section : premiers poèmes (1 à 11 et 17 à 21) : rôle et fonction du poète : poète exilé, incompris, promis à de grandes choses. Puis cycles féminins : poèmes 22 à 39 (40 ?) destinés à Jeanne Duval, poèmes 41 à 48 à Madame Sabatier, poèmes 49 à 58 (59 ?)) à Marie Daubrun. Poèmes 75 à 78, cycle du Spleen, poèmes qui vont ensemble car ont le même titre, mélancolie, désespoir. La 1ère partie est considérée comme le squelette du recueil car la plus longue et parce qu’elle contient quasiment toutes les thématiques du recueil.
Tableaux parisiens (poèmes 86 à 103) : c’est ce groupe de poèmes qui fait de Baudelaire le père de la poésie urbaine : vision insolite et moderne de la ville et en particulier les bas fonds et le peuple laborieux. Il est le premier à parler de la ville dans le poème. Echo de « Spleen et Idéal » : c’est dans la ville qu’il y a une oscillation entre Spleen et Idéal. Il fait de Paris une allégorie de son âme.
Les quatre sections suivantes vont apparaître comme les différentes tentatives d’échapper à cet écartèlement de la conscience : la souffrance.
Le Vin (poèmes 104 à 108) : il essaie d’utiliser l’ivresse, un des paradis artificiels chez Baudelaire. Il évoque l’oubli bienfaiteur avant de le condamner.
Fleurs du Mal (poèmes 109 à 117) : la débauche comme autre moyen d’échapper à son mal-être, allusion à la mort qui est vue comme tentatrice et effrayante (cf. « Un Voyage à Cythère« , « Deux Bonnes Sœurs« , « La Martyre » : débauche et excès de volupté présentés comme vînts et illusoires ; la mort est vue comme une solution efficace.
Révoltes (poèmes 118 à 120) : apparaît comme une dernière tentative dans laquelle il insulte Dieu et chante au contraire la gloire de Satan.
La Mort (poèmes 121 à 126) : cette section constate l’échec de ses tentatives/échappatoires et fait de la mort la seule ressource (solution pour échapper au Spleen et découvrir la seule nouveauté indispensable à la poésie).
II. Traditions et modernités des Fleurs du Mal
Alliance entre « Tradition et Modernité » en référence avec : « Le premier des modernes et le dernier des classiques », ce qui laisse entendre que les « Fleurs du Mal » sont partagées entre passé (classique, beaucoup de choses du côté classique de la forme : sonnet et alexandrins) et avenir (moderne, sujets innovants : la ville, le choix des images : métaphores, images audacieuses et originales).
La prosodie traditionnelle des « Fleurs du Mal« , n’est pas particulièrement audacieuse, vers en alexandrins, décasyllabes et octosyllabes : côté pas très novateur. Des vers impairs sont présents uniquement dans « L’Invitation au Voyage » : ressemble presque à des décasyllabes. Baudelaire est attaché au sonnet : « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense », Lettre, 1860 (idée partagée par Edgar Allan Poe). Autre forme utilisée : Le Panthum, dans le poème 47, « Harmonie su soir ».
Dans tous les cas il reste fidèle à la strophe, surtout au quatrain, et aussi au système d’alternance des rimes : « Il est évident que les rhétoriques et les prosodies ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement mais une collection de règles réclamées par l’organisation même de l’être spirituelle et jamais les prosodies et les rhétoriques n’ont empêché les originalités de se reproduire distinctement », pour un Salon en 1859.
Entre Passé et Avenir : utilisation des figures bibliques, mythologiques et littéraires qui sont nombreuses dans le recueil, ce qui semble traditionnel mais il ne va pas leur consacrer des fresques entières, mais plutôt des petites touches : allusions personnelles à Baudelaire incluses dans les comparaisons, des métaphores comme dans « Don Juan« , « Aux Enfers », « Le Cygne » (Andromaque, symbole de l’exil), « Le Flacon » (figure biblique métaphorique de Lazare).
Le symbole est utilisé et approprié pour décrire ce qu’il veut dire. Le vocabulaire est partagé entre passé et avenir (« haine », « cieux », « gouffre », « ennuie » = mots typiques de la tragédie, termes raciniens). Il va même parfois jusqu’à utiliser des archaïsmes : « mignard » (« Le Masque« , poème 20) : niais ou « gueusant », « noturne » (« A une Passante Rousse« , « Rouès » = rusé, malhonnête). Mais il ne craint pas d’ajouter un vocabulaire moderne voire néologiste : « vagabond », « réverbère », « bilan », « voirie », « omnibus » (= vocabulaire de la ville).
Baudelaire cultive le heurt entre ces lexiques très différents parce que cette confrontation fait naître la surprise et en particulier quand on les fait se rencontrer : « Les Petites vieilles » (poème 88), « Ils rampent, flagellés par les bises iniques, Frémissant au fracas roulant des omnibus ».
La modernité : Baudelaire est considéré comme un des grands modernes. Il s’écarte des romantiques. Il n’avait pas projet de se raconter. S’il parle de lui, c’est pour extraire la beauté du mal. L’introspection va du côté de la beauté, sans sensiblerie. Thématique de la ville, notamment dans les « Tableaux parisiens », où elle devient personnage et non le décor : il va décrire les ruelles sombres, les bas fonds de Paris et non pas les beaux quartiers : rattachement aux romanciers réalistes comme par exemple Balzac.
Chez Baudelaire, cette vision insolite est une forme de beauté (le bizarre), il n’aime pas le naturel, ni la nature car c’est ce qui pour lui s’apparente au romantisme, il préfère l’artifice : « Rêve Parisien » (poème 102). La ville pour Baudelaire est un moyen de rejeter la rupture mais c’est aussi le symbole du changement : « Le peintre de la modernité ». « La modernité c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ».
L’autre aspect de la ville est la prise en compte des classes laborieuses, cf. « Crépuscule du Soir » : rattachement à Zola, romancier réaliste. La modernité de Baudelaire se lit aussi dans son travail de la métaphore et de la comparaison, le traitement qu’il en fait, où il va faire des rapprochement audacieux et originaux, il préfigure les symbolistes et parfois même les surréalistes, cf. « Beau Navire« , gorge + armoire : « Ta gorge prévoyante est une large armoire » (poème 125), « tes yeux illuminés ainsi que des boutiques ».
La modernité ici naît avec le décalage entre le comparé et le comparant. Les rapprochements ont profondément touché Laforgue, qui dit que Baudelaire « met les pieds dans le plat », « qu’il fait des comparaisons crues ». Même si ces comparaisons ne sont pas très fréquentes, elles sont nombreuses et relèvent d’une envie de renouveau poétique.