Eugène Ionesco

Ionesco, Le Roi se meurt, Résumé

La pièce s’ouvre sur la salle du trône, où « living-room », comme l’appelle naïvement Juliette. L’ironie, c’est que ce « living-room » sera le lieu de déclin de la mort du roi. Bien loin d’une pièce de vie donc. D’emblée, la présentation du décor annonce le caractère décadent de la pièce. Le chauffage ne marche plus, la salle du trône est souillée de saleté et une fissure est apparue durant la nuit. D’ailleurs, Marie le précise, il ne sert à rien de la colmater, cette fissure est « irréversible ». Déjà, tout laisse présager un changement, une rupture dans le cours paisible des choses. Cette pièce commence donc à l’aube d’un déclin. Bref, la situation se présente à la fois comme inhabituelle, nouvelle, mais aussi comme tout à fait attendue, prévue. Ce contraste entre le caractère nouveau et le caractère fatal de l’événement est représenté par l’attitude singulière que présentent les personnages face à la situation. Ainsi, Marguerite, la première reine, arbore un caractère rationnel, préparé, implacable, tandis que Marie, la seconde reine, réagit par l’émotion et le déni.

Mais quel est-il cet événement dont les personnages parlent, qui fait pleurer Marie et se fissurer les murs ? Il est annoncé dans le titre, et ne saurait donc nous surprendre : le Roi va mourir. L’entrée en scène du roi se fait tardivement, au bout d’une dizaine de pages. Avant cela, les personnages présents sur scène récapitulent les péripéties des derniers jours qui annoncent, partout dans le royaume, la mort du Roi.

Voilà que le Roi entre, débraillé, pieds nus. Il se plaint. Il a mal. Il ne sait pas encore qu’il va mourir, il va falloir le lui annoncer. On ne peut s’empêcher de noter que, déjà, le Roi tente de lutter vainement contre le cours tragique des événements. En effet, on apprendra au cours de la pièce qu’un nombre hallucinant de catastrophes annonçaient déjà la fin du royaume. Bien qu’il en soit conscient, il semble minimiser la réalité de la mauvaise santé de celui-ci, comme de la sienne. D’ailleurs, il le dit lui-même : « Il n’y a plus rien d’anormal puisque l’anormal est devenu habituel ». Drôle de relativisme qui consisterait à dire que si tout le monde est malade, alors personne n’est malade. Pourtant, le royaume, et le Roi, sont objectivement malades. Le médecin ainsi que Marguerite ne cessent de le répéter.

Voyant cela, il paraît tout naturel que, lorsque la reine Marguerite lui annonce l’imminence de sa mort, il la refuse comme une aberration. Nous voilà rentrés, à ce stade de la pièce, dans les phases successives qui décomposent la réaction du Roi face à sa condamnation.

On a d’abord le déni. L’auteur nous montre en fait les différentes phases successives par lesquelles nous, en tant que lecteur, sommes susceptible de passer à l’annonce de notre propre mort. Le roi la refuse donc catégoriquement dans un premier temps. L’évidence est pourtant là : le territoire est devenu un immense désert, les ministres sont tombés « dans le ruisseau », tout choit et se délite. Le roi lui-même voit déjà sa santé décliner. Pourtant, même lorsqu’il a mal, même lorsqu’il fait tomber son sceptre ou sa couronne, ou lorsqu’il se rend compte qu’il n’a plus le pouvoir d’autorité sur ses gardes, il continue de croire obstinément que ces événements ne sont que des accidents. Plutôt que d’accepter le fait que ce soit lui, le roi, qui perd peu à peu ses pouvoirs, il préfère imaginer que ce sont les autres, l’extériorité, qui faiblit et qui tombe malade.

Il faut dire que la seconde reine ne lui rend pas la tâche facile, elle qui, par amour, nie également que la fin approche. L’amour trop grand que Marie porte à son roi lui voile la vérité qui pourtant se dresse, implacable, face à eux. La scène où le Roi, essayant de gagner son trône, tombe et retombe sans cesse en est un exemple typique. Dès qu’il tombe, Marie martèle « Vive le Roi ! Vive le Roi ! ». Chaque chute est ainsi ponctuée d’un éloge paradoxal puisqu’on ne saurait reconnaître la grandeur du Roi à sa chute. On retrouvera tout le long de la pièce cette idée que soutient Marie, qui croit dur comme fer que l’amour ne succombera pas à la fatalité. Comment ne pas se reconnaître dans cette vieille croyance populaire, presque religieuse, qui nous dit que l’amour sera plus fort que la mort ? Mais il n’en est rien. Eugène Ionesco le démontre jusqu’au bout, tant l’attitude de Marie comme de celle du Roi nous paraissent paradoxales, pitoyables même.

Peu à peu, malgré tout, l’évidence finit par triompher. On aborde ainsi doucement la deuxième phase de la prise de conscience de la mort : la peur et la colère. En réalisant le sort qui l’attend, le Roi refuse d’abord d’admettre qu’il aurait dû se préparer à mourir. C’est de la faute des autres, affirme-t-il. Et de la Reine d’abord. Mais qu’importe. Maintenant qu’il sait, il a peur. Alors, le Roi beugle, gémit, tente de se débattre frénétiquement comme un poisson qu’on aurait sorti de l’eau. Il n’est plus que l’ombre de sa royauté. Il en devient pathétique. Tellement pathétique que les rôles se renversent : maintenant, c’est le Roi qui implore le peuple. « Peuple au secours… Peuple, au secours ! », crie-t-il du haut de sa fenêtre.

Ce passage est également l’occasion, une fois la panique du Roi passée, de faire un retour sur sa vie. On en apprend plus sur ce personnage lors d’un dialogue contrasté entre lui et les autres. Son âge immense, ses exploits, ses conquêtes sont passés en revue. On voit alors un ultime sursaut de désir d’immortalité le faire tressaillir. Si il doit effectivement mourir, alors il fera en sorte que l’on se souvienne de lui à tout jamais, ainsi il vivra éternellement dans la mémoire des peuples.

Enfin, on ne lutte pas contre le destin. Face au déclin physique qui l’accable de plus en plus, le Roi n’a d’autre choix que de se résigner. « Je meurs », dit-il à plusieurs reprises. Marie, elle, ne voudra jamais l’admettre. Et, en même temps que le Roi meurt, c’est tout son monde qui s’écroule, tout son royaume. Comment admettre en effet un royaume sans son Roi ? Un monde sans son créateur ? C’est ainsi que, plus le Roi perd de ses facultés, plus le monde perd de ses attributs, et notamment le monde scénique. Le roi devient aveugle, il perd la mémoire, etc. Et en même temps, les personnages disparaissent un à un, à commencer, étrangement, par Marie. Celle qui l’accompagnera jusqu’au bout sera sa première reine, Marguerite. Mais elle aussi disparaîtra. Et le décor également. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le Roi qui, enfin, meurt, et disparaît à son tour, laissant la scène vide.

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