Alain Robbe-Grillet

Robbe-Grillet, La Jalousie, Résumé

Dans La Jalousie, le romancier fait appel à un narrateur, omniprésent mais sans réelle identité. Tout au long du récit, il demeure anonyme, aucun trait physique le concernant n’est divulgué. Toutefois, si nous tenons compte du titre du roman et de son propos – l’histoire classique d’un triangle amoureux formé par une femme, son possible amant et son mari – nous pouvons supposer que le narrateur est le mari en question, sans que cela ne soit vraiment explicite. Ce que nous comprenant rapidement cependant, c’est qu’il s’agit d’un individu maladivement jaloux, qui épie sa femme dans tous ses faits et gestes.

Ce narrateur anonyme constitue le seul témoin du récit. Pour être en mesure de tirer ses conclusions en ce qui a trait au tempérament de ce personnage, le lecteur n’a d’autre choix que de s’appuyer sur le comportement que le narrateur a envers sa femme, aux pensées qui l’habitent la concernant, aux doutes qui l’assaillent. Le lecteur ne peut pas se tourner vers une source extérieure afin de prendre le recul nécessaire pour bien appréhender le personnage puisque ce dernier monopolise le point de vue dans son intégralité. La seule certitude du lecteur c’est d’être en présence d’un homme jaloux à l’excès, qui n’a même pas tout à fait conscience du caractère obsessionnel de son penchant.

La quasi-totalité de son histoire consiste à surveiller son épouse car il a la conviction qu’elle entretient une relation adultère. Il l’épie par les persiennes des fenêtres, en demeurant aux yeux du lecteur à la fois omniprésent et discret. Il parle peu, s’abstient d’alimenter les discussions, évite de se laisser percer à jour autrement que par l’entremise de ses pensées dénaturées par la jalousie.

Le récit fictif que construit de toute pièce le narrateur dans sa paranoïa n’induit pas le lecteur en erreur. Il est au fait que toutes les réflexions du narrateur sont le fruit d’un piège tendu par son esprit sans son consentement. Mais par un habile travail inconscient, il tente de rendre crédible et irréfutable le schéma mental qu’il se fait du monde extérieur qui n’a aucune commune mesure avec la réalité, en s’appuyant sur des observations qu’il transforme en preuves en les faisant dévier de leur source originelle. Ce narrateur souffre mentalement et fait souffrir les autres.

Le roman débute avec une description exhaustive et détaillée du lieu de l’histoire, sans jamais le nommer précisément. Le narrateur se contente de décrire une route bordée de bananiers et le son de la mer à proximité de celle-ci. Puis, son attention se tourne vers un poteau électrique se trouvant entre deux bâtiments.

Entre en scène l’un des quatre personnages du récit, Franck, déambulant seul sans se presser et tenant dans ses mains une bouteille de vin. Derrière lui, dans sa demeure, vivent sa femme et son fils. Mais c’est vers la maison voisine qu’il se dirige, celle de madame A et de son mari. La description de l’ambiance romantique qui règne alors laisse croire à une idylle entre A et Franck. Les deux voisins sont pourtant mariés.

Le narrateur observe ces deux personnages lors d’un dîner en tête-à-tête. Il rapporte leur discussion sans fin, hautement animée. Il analyse les moindres détails, échafaude des théories, fait part de ses soupçons mais ne tire aucune conclusion. Il rapporte en outre une conversation entre A et Franck à propos d’un roman que celui-ci a prêté à A dont l’histoire tourne autour d’une relation sentimentale triangulaire, la même en fait que l’histoire de l’œuvre.

Le narrateur invite ensuite le lecteur à le suivre dans sa grande maison qu’il arpente de long en large en cogitant à propos de l’existence d’une aventure amoureuse qu’il soupçonne entre sa femme et son voisin Franck. Ses réflexions le conduisent à imaginer des scènes de relation amoureuse entre la femme de Franck et lui ou encore un combat sans merci qui oppose A, Franck et lui-même.

A, la femme qui suscite la jalousie du narrateur, est peu volubile. En fait, ce ne sont pas les paroles qu’elle prononce qui inquiètent son mari mais plutôt ses actes. On ne sait rien d’elle à part qu’elle arbore une magnifique et longue chevelure couleur ébène. Son mari la décrit souvent assise à son bureau à rédiger une correspondance qu’elle ne signe jamais.

C’est d’ailleurs presque toujours son aspect physique qu’il met de l’avant dans le récit, faisant fi de sa personnalité pourtant éloquente et enjouée et de ses pensées. Elle représente pour lui davantage un objet physique, un objet de désir qu’il veut garder pour lui seul qu’un être pensant. L’idée qu’elle puisse prendre la fuite avec un autre le terrorise.

L’inquiétude du narrateur est d’autant plus grande qu’il lui semble que la présence de Franck suffit à apporter la joie de vivre à sa femme. Elle converse gaiement avec son ami à chacune de leur rencontre et paraît faire face à de longs épisodes de tristesse en son absence. A est en outre une femme libérée, qui possède sa façon bien à elle de concevoir le libertinage. Cette liberté de penser a de quoi pousser son mari à s’emmurer toujours un peu plus dans la jalousie et à redoubler de vigilance envers son supposé rival.

Ce rival, Franck, est un homme charmant. Le narrateur ne le spécifie pas clairement dans le récit mais c’est ce qui s’en dégage car il en est très jaloux. Il imagine dans sa tête des scénarios d’horreur où il voit Franck brûler sans lui porter secours. Il ne s’autorise cependant aucun geste malheureux envers lui par crainte de voir sa femme se précipiter dans ses bras.

Selon la vision embrouillée que le mari jaloux a de lui, Franck serait son parfait opposé. Même si aucune description claire n’est formulée à ce propos, nous imaginons Franck grand, imposant, musclé, au charme irrésistible, capable de séduire et de voler A, quand lui ne le peut.

Outre leur apparence, le rapport au monde des deux personnages est différent. Franck s’exprime avec éloquence et défend ses idées, à l’opposé du narrateur peu loquace, obstinément enfermé dans ses réflexions envahissantes. S’il est résolument replié dans son monde intérieur déboussolé, Franck est plutôt orienté vers l’extérieur, avide de conquérir l’univers entier.

La seule ombre au tableau pour l’amant charmeur et révélée par A serait un problème en matière de mécanique, l’impuissance sexuelle. de celui-ci. C’est l’unique terrain sur lequel le narrateur le devance mais cette petite victoire le satisfait tout de même. Il est clair par conséquent que la relation qui s’établit entre le mari et l’amant présumé est basée essentiellement sur un rapport de force et de déséquilibre entre les aptitudes de l’un et de l’autre.

Le quatrième personnage, c’est Christine, l’épouse de Franck, qui ne se soucie que de la santé de son fils. À l’opposé de son mari, elle a un tempérament résigné et vit d’espoir sans jamais agir ou faire entendre sa voix.

La beauté du roman réside dans le fait que le romancier ait choisi comme personnage principal un narrateur à la santé mentale fragilisée. Il soupçonne sa femme d’infidélité et sans le chercher, la dirige lentement mais sûrement dans les bras de son rival qui ne lui inspire que crainte et frustration. La description du récit est empreinte de réalisme et chaque événement est rapporté avec une grande précision.

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