Yourcenar, L’Œuvre au noir, Résumé
Flandre, début du 16ème siècle. Le vent de la politique souffle fort et secoue la ville, le pays. Les conflits intestins éclatent et s’enveniment avec l’intrusion de polémiques religieux. C’est dans cet environnement chaotique et sulfureux que Zénon, enfant naturel d’un prélat de haut rang, voit le jour. Il est le fils d’Alberico de Numi, de souche florentine et de Hilzonde, issue de famille bourgeoise et dont le frère, Henri-Juste Ligre est connu pour sa grande fortune à Bruges. Malgré son statut à la naissance, Zénon jouit d’une vie paisible et confortable au sein de la luxueuse maison familiale des Ligre. Henri-Maximilien, l’enfant légitime lui aussi habite les lieux. Les deux garçons cependant, bien qu’élevés dans le même environnement, ont des centres d’intérêt très différents. Aucun des deux ne semble attiré par le métier de banquier, exercé par leur parent. Zénon, devenu clerc, voue son existence complexe et austère, à la science et aux diverses techniques, à l’alchimie, la théologie, la médecine et à la mécanique, des domaines qui au final se rejoignent. Son jeune frère, lui développe un enclin pour les armes et les combats et s’enrôle dans les armées royales, tantôt au service du monarque d’Espagne, tantôt à celui de France, peu lui importe. Tous deux vont quitter le giron familial pour suivre leurs destins.
Zénon, préfère s’abîmer dans des études approfondies de la théologie dont son intelligence va bientôt lui en démontrer les limites. Et dans sa quête spirituelle et scientifique, il va parcourir le monde. Au risque d’être pris pour un hérétique et risquer de fait le bûcher, il pousse son apprentissage jusqu’à construire des appareils mécaniques dont des métiers à tisser pour aider les tisserands. Malheureusement, ses inventions jugées barbares voire diaboliques sont rejetées. Il va vite être confronté aux remparts religieux et quitte Bruges en mettant une croix, par sa décision, sur une carrière prometteuse entrevue avec son précepteur, le chanoine Bartholomée Campanus, lors de leurs discussions. Il va disparaître du paysage brugeois et se fera peu à peu oublier par la société. C’est en l’année 1529 que les deux jeunes hommes, de gré pour l’un et de force pour l’autre, vont se retrouver sur les routes à la rencontre de leurs destins.
Des années après leur départ, c’est à travers des rumeurs plus ou moins infondées que les Brugeois apprennent des nouvelles de Zénon. Selon les bruits qui courent, il mettrait ses connaissances en médecine au service des malades de la peste dans la région du Languedoc, ou encore, il aurait construit pour le Sultan, dans le lointain Orient, des machines de guerre terribles. Par contre, la rumeur sur le fait qu’il ait écrit un ouvrage sur l’anatomie du cœur et le fonctionnement de cet organe est bel et bien fondée. Son souvenir s’estompe au sein de la société de Bruges, et Hilzonde, sa propre mère, ne se ressentant pas de réelle affection pour Zénon, son enfant bâtard, refond un nouveau foyer avec Simon Andriansen, plus âgé et doté de fortune colossale. Fortune qu’il met au service de la secte des Anabaptistes dont il est membre. Cette assemblée réfute les fondements de la religion catholique et se retrouve dans le collimateur des dirigeants espagnols. Sur les terres espagnoles, les Anabaptistes sont plus qu’indésirables, ils sont traqués de partout et se retirent à Münster, derrière les hauts murs de la cité. Simon et Hilzonde s’y réfugient avec leurs frères de religion pour échapper aux emprises des autorités catholiques. Le long séjour forcé à Münster met en péril la vie des assiégés, la famine et le massacre perpétré sur eux par les catholiques déciment les Anabaptistes. Martha, fille du couple Simon Andriansen et Hilzonde, survit à l’assaut de Münster. Cependant, ayant perdu ses parents lors du siège, l’orpheline est recueillie par des cousins immensément riches, des banquiers de la famille Fugger. Elle grandit avec Bénédicte, la fille de la famille et bientôt une grande complicité affectueuse lie les deux jeunes filles. Ainsi pour vivre librement leur foi, elles projettent de partir. Mais la peste frappe la ville et tue dans l’œuf leur beau plan quand Bénédicte elle-même est atteinte par l’épidémie. Un soir, Zénon se rend chez les Fugger en tant que médecin. Il tait son identité et est accueilli par Martha, sa propre sœur. Son savoir et son intervention adouciront le mal de Bénédicte mais ne suffiront pas à sauver la jeune fille. Plus tard, Martha deviendra la bru d’Henri-Juste Ligre, en devenant l’épouse de Philibert, frère d’Henri-Maximilien.
Lettré mais adulant son existence de joyeux luron ponctuée des brutalités de la guerre, Henri-Maximilien compose ses sonnets, quatrains et tercets sur les champs de bataille, dans les tavernes, où bon l’envie lui vient. Ce soir-là, dans une taverne à Innsbruck, suite à une querelle avec un Hongrois, il reçoit une estafilade à la joue, blessure qui gorge de sang rapidement le bandage de fortune qu’il s’est attaché autour de la tête. Le tavernier lui conseille d’aller voir un chirurgien, c’est à ce moment que Zénon très discret, pénètre dans l’auberge et est aussitôt reconnu par le capitaine blessé, Henri-Maximilien. Les deux frères se sont perdus de vue de longues années durant, et avoir été interpellé brusquement dans cette taverne l’a plus que surpris. Persécuté et tout le temps en cavale, Zénon propose, pour plus de sûreté, à son jeune frère de venir chez lui pour qu’il puisse lui prodiguer ses soins. Cette nuit passée ensemble sera la seule et unique opportunité au cours de laquelle les deux hommes vont pouvoir partager différents points de vue sur leur existence. Zénon a approfondi ses études sur l’anatomie, parallèlement à la philosophie, mais se trouve constamment en danger à cause de ses activités et surtout pour avoir écrit d’autres ouvrages jugés inadaptés à son époque, fleurant l’hérésie. Il risque le bûcher à tout moment pour avoir osé librement exprimer des idées classées peu orthodoxes. Recherché dans divers Etats, il est contraint de mener une vie de perpétuel fuyard. Quant à Henri-Maximilien, il aime s’exposer aux dangers et provoque même des situations conflictuelles. Au lendemain de cette longue nuit de conversation, ils se séparent, poursuivant chacun sa route. Peu de temps après, le jeune capitaine va trouver la mort dans une escarmouche et sera enterré dans quelque fossé.
Las de ses pérégrinations jonchées de persécutions, Zénon décide de rentrer à Bruges. Mais après ses voyages en Pologne et en Suède, sur le chemin de retour, il croise fortuitement le chemin du prieur des cordeliers, qui lui aussi veut retourner à Bruges. Très vite, il va se rendre compte que sous ses dehors austères, Zénon est en fait un homme doté d’un rare savoir et d’une grande intelligence. Une amitié profonde les unit, et Zénon que les circonstances obligent à adopter un autre nom se fait appeler désormais Sébastien Théus. Il va habiter dans l’hospice près du monastère des cordeliers et continuer à prodiguer des soins aux indigents, ainsi qu’à son ami, le vieux prieur, pour le soulager de ses maux. Leurs rencontres sont autant d’occasions de discuter religion et de critiquer les souffrances infligées à ceux soupçonnés d’aller à l’encontre des dogmes de l’Eglise.
Mais les années de quiétude menées par Zénon-Sébastien Théus vont bientôt être éclaboussées par un terrible scandale. La fille d’un riche notable aurait eu des relations charnelles avec quelques moinillons puis tué l’enfant à sa naissance. Les protagonistes sont condamnés mais dans la foulée, un des moines implique Zénon. Les ecclésiastiques saisissent cette occasion pour condamner enfin l’homme qui a selon eux, enfreint plusieurs règles bien établies. Le côté alchimiste de Zénon va constituer le principal chef d’accusation. Il est condamné à être brûlé vif le 8 février 1569. Le chanoine Bartholomée Campanus lui conseille de se rétracter pour échapper au bûcher mais en libre pensant, il choisit de s’ouvrir les veines dans sa cellule.