Zweig, Le Joueur d’échecs, Résumé
Le narrateur est sur un paquebot prêt à lever l’ancre à destination de Rio, quand une célébrité monte à bord. Il s’agit de Mirko Czentovic, un fameux joueur d’échec. Le compagnon du narrateur lui raconte l’histoire de cet homme : pauvre orphelin benêt, il a été élevé par un curé de campagne avant que ses dons pour les échecs ne soient découverts. A partir de là, il est parti se former à Vienne, et a gravi les échelons jusqu’à être champion du monde. Arrivé à ce niveau de maîtrise, le benêt se change en monstre d’arrogance et de cupidité. Le compagnon du narrateur trouve ce développement normal : le joueur d’échec ne connait aucune valeur, autre que son talent et l’argent qu’il gagne.
Le narrateur, féru de psychologie, a l’intention de comprendre le fonctionnement du joueur pendant les 12 jours de traversée. Mais il se rend vite compte que Mirko Czentovic évite toute conversation. Le narrateur médite sur les échecs, qu’il considère comme un véritable art, sans but et la marque d’une intelligence très particulière. Le cerveau de Mirko est une énigme, il adorerait l’étudier. Il décide finalement d’utiliser la technique de l’appas animal, et d’attirer le joueur en jouant. Il s’installe au fumoir avec sa femme et se met à jouer. Plusieurs personnes s’arrêtent, dont un M. MacConnor qui se révèle mauvais joueur. Ses éclats finissent par attirer Czentovic dans le fumoir. D’un geste méprisant, le champion s’éloigne de la table. Ce dédain rend MacConnor furieux, impatient de se mesurer à lui. Il s’élance à sa suite et revient peu de temps après. Czentovic demande 250 dollars par partie, et MacConnor a accepté. La confrontation aura lieu le lendemain. Ils préviennent quatre ou cinq autres joueurs et réservent les tables voisines pour ne pas être dérangés.
Le lendemain, Czentovic arrive en retard. Le jeu s’organise comme suit : Czentovic jouera seul contre tous, après son coup il se retirera au fond de la pièce pour ne pas entendre leur débat, et reviendra quand ils taperont de la cuillère sur un verre. La partie se termine vite, en faveur de Czentovic qui leur fait sentir toute sa supériorité. Après qu’il ait conclu « Mat », MacConnor devient très agressif et demande une revanche. Les adversaires du champion sont de plus en plus agités et enthousiastes, leurs conversations sont vives. Les curieux s’approchent.
Pendant cette partie, ils s’apprêtent à mener un pion jusqu’à la dernière ligne pour faire une nouvelle dame, mais un homme au teint pâle les arrête et les prévient de la tactique de Czentovic. Il leur propose une stratégie pour faire partie nulle et les impressionne par la vivacité de son esprit. MacConnor suit ses conseils. Le champion commence à s’intéresser à la partie et finit par s’asseoir. Finalement, Czentovic déclare « Partie nulle. » Un grand silence accueille ses mots et il propose une troisième partie en regardant l’homme pâle. Celui-ci se sauve du fumoir, en expliquant qu’il n’a pas touché à un échiquier depuis 25 ans et que son intervention n’était que fortuite. L’orgueil de Czentovic est blessé : il explique qu’il a conduit à une partie nulle pour ménager ses adversaires.
Cette excuse met le groupe de joueurs hors de lui, et déterminé à écraser le champion. Ils sont marqués par le contraste entre la modestie de l’homme pâle et l’arrogance de Czentovic, et veulent absolument provoquer une partie entre les deux génies.
Le narrateur trouve l’homme qui se repose sur le pont du bateau. Il s’agit du Dr B, issu d’une illustre famille autrichienne. Il a les cheveux blancs mais un visage jeune. Le narrateur lui apprend, à son grand étonnement, qu’il vient de jouer contre un champion mondial. Le Dr B accepte de disputer une nouvelle partie contre lui, mais rappelle qu’il n’a pas touché un échiquier depuis ses années d’étudiants. Il invite le narrateur à écouter son histoire.
Avec son père, il s’occupait d’administrer des biens du clergé et de l’Empire autrichien. Leur probité était proverbiale. Mais à l’ascension d’Hitler, ils sentent que les pays voisins de l’Allemagne sont menacés : ils se mettent donc en devoir de lui soustraire les biens dont ils avaient la charge. Ils ne savent pas que l’étude a été infiltrée par un espion national-socialiste. Celui-ci n’était heureusement affecté qu’à de menues tâches et n’avait rien de notable à rapporter. Jusqu’au jour où il a senti que quelque chose de louche se passait dans l’étude. La veille de l’entrée d’Hitler à Vienne, le Dr B est arrêté par la Gestapo, juste après s’être débarrassé des documents compromettants.
A ce point du récit, le narrateur remarque que le visage du Dr B est agité d’un tic nerveux. Celui-ci poursuit.
Il n’a pas été incarcéré en camp de concentration mais laissé à la disposition de la Gestapo. Il a été installé dans un hôtel, dans une chambre particulière. Or cette chambre était complètement isolée de tout contact. Le principe de la torture était donc l’isolement et l’ennui. Le face-à-face avec le néant. Il n’avait qu’un lit, une table, une fenêtre, une cuvette. Il a fini par se sentir devenir fou, à tourner dans cette chambre sans la moindre occupation. Ensuite, les interrogatoires ont commencé, brusquement, sans préavis. Il ne savait pas quel moment de la journée on était. Il trouvait particulièrement difficile de ne pas savoir ce que savait déjà la Gestapo. Que pouvait-il dire, que pouvait-il taire ? Une fois de retour dans sa chambre, ses pensées ne pouvaient s’accrocher qu’à l’interrogatoire, ce qui était bien le but. Il passe quatre mois dans le vide de cette chambre, à passer d’interrogatoire en interrogatoire. Un soir, il crie au gardien qu’il est prêt à tout avouer, mais celui-ci ne l’entend heureusement pas. Finalement, il passe en interrogatoire un 27 juillet. La date lui est restée dans la mémoire parce que, chose exceptionnelle, un calendrier était visible au mur. Ce jour là, alors qu’il attend l’arrivée de la Gestapo, il remarque la forme d’un livre dans la poche d’un manteau. Il parvient à le dérober pour le lire dans sa chambre. Il est d’abord déçu : il s’agit d’un manuel d’échecs. Il se plonge néanmoins dedans et tente de reproduire les parties avec son drap quadrillé et des figures en mie de pain. Au bout de quelques jours, il n’a plus besoin de représenter la partie, il parvient à la penser. Il apprend par cœur les parties de maître, en affûtant son intelligence. Cet atout raffermit sa volonté durant les interrogatoires.
Au bout de trois mois, les échecs n’ont plus de secret pour lui et il revient à l’ennui. Il aurait fallu qu’il puisse jouer de nouvelles parties contre lui-même, et pour ce faire cloisonner son esprit : d’un côté une pensée des blanches, de l’autre une pensée des noires. Il a tenté ce dédoublement dans l’échiquier abstrait qu’il pensait, ce qui l’a poussé à une tension mentale extrême. Son état nerveux devient critique et les échecs une obsession maladive. Il en perdit le sommeil et l’appétit.
Un matin, il se réveille dans une autre chambre, plus grande, lumineuse. Le médecin lui explique qu’il a été blessé à la main en se battant contre lui-même. Ce bon docteur lui promet de s’arranger pour ne pas qu’il soit renvoyé dans cette chambre. En effet, il est sommé de quitter le pays dans les 15 jours, et le voici sur ce paquebot.
Depuis sa maladie, il avait oblitéré le souvenir des échecs, d’où sa forte émotion en voyant la partie dans le fumoir. Toutes ses connaissances abstraites se trouvaient concrétisées. Il est curieux de savoir le lendemain ce qu’il vaut réellement aux échecs, tout en ayant l’humilité de ne pas se penser meilleur de Czentovic. Il prévient le narrateur qu’il ne s’agira que d’une seule partie, afin de clore son histoire avec les échecs et de ne pas retomber dans la démence.
Le lendemain, le public est nombreux dans le fumoir. Le jeu, trop compliqué, perd vite de son intérêt au profit du contraste saisissant qu’offrent les joueurs. Le narrateur s’inquiète de l’agitation grandissante du Dr B. Celui-ci finit par annoncer victorieusement un coup magnifique, au comble de l’excitation. Czentovic abandonne la partie, mais en propose une nouvelle que le Dr B. accepte immédiatement. Une hargne passionnée se noue entre les adversaires et la tension monte alors que Czentovic joue avec une lenteur exagérée. Finalement, le Dr B annonce « Échec » alors que ce n’est pas le cas. Il s’est trompé de partie. Le narrateur le rappelle à la réalité et le joueur fuit de la pièce, laissant l’arrogant vainqueur.